Introduction
Le 12 juin 2023, dans une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux, on peut voir Nabil Njoya, l’actuel sultan roi des Bamoun s’asseoir, avec solennité, sur le trône royal de son arrière-grand-père exposé dans un musée en Allemagne depuis plus de 115 ans. « S’il est avéré que ce trône appartient au peuple Bamoun de l’Ouest Cameroun, pourquoi ne pas le ramener à Foumban ? », s’interroge naïvement un internaute. La question est logique mais la réponse complexe car elle remet au goût du jour le débat sur la restitution des objets d’art exportés illégalement.
Justement, la suite la vidéo¹ permet de mieux comprendre les contours de ce retour. Interrogé par un journaliste, Victor Ndocki, ambassadeur du Cameroun en Allemagne, explique que « des démarches sont entreprises depuis des années par les gouvernements camerounais et allemand pour que nous puissions rentrer en possession de nos biens culturels arrachés pendant la colonisation ». Une information qu’a confirmé le Dr Corinna Fricke, ambassadeur d’Allemagne au Cameroun, au sortir d’une audience avec Pierre Ismaël Bidoung Mkpatt, le Ministre des Arts et de la Culture (MINAC) camerounais le 13 juin 2023. Elle a réitéré l’engagement de l’Allemagne à travailler étroitement avec le gouvernement et la société civile sur la question des restitutions. Un peu plus précis, le Président Emmanuel Macron avait déclaré, dans son célèbre discours de Ouagadougou en 2017, vouloir que « d’ici cinq ans les conditions soient réunies pour un retour du patrimoine africain à l’Afrique ».
Mais dans les actes, au-delà des discours politiques et des bonnes intentions, aucun échéancier précis n’a encore été donné par les différentes parties prenantes. Si des pays comme le Bénin et le Sénégal ont déjà pu obtenir le retour de certains de leurs objets d’art, d’autres comme le Cameroun en sont encore loin. Pourtant le Cameroun est le premier pays d’Afrique noire à avoir ramené une œuvre en 1973, la statuette Afo-Akom, symbole traditionnel et rituel du peuple Kom dans le nord-ouest du pays. Il est aussi l’un des pays qui comptent le plus grand nombre d’objets culturels à l’étranger. Seulement au Musée du quai Branly-Jacques Chirac en France, l’on retrouve 7.838 œuvres² provenant du Cameroun, selon le rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain rédigé en 2018 par l’universitaire et écrivain sénégalais Felwine Sarr et l’historienne de l’art française Benedicte Savoy. Pendant ce temps, en Allemagne, le Linden Museum possède 8.000 objets d’origine camerounaise. Le Musée éthnologique de Berlin et le Grassi Museum de Leipzig ont 5.000 objets chacun. Au total, d’après une étude publiée par Benedicte Savoy et Albert Gouaffo, professeur à l’Université de Dschang, 40.000 artefacts³ du Cameroun sont détenus dans des musées allemands.
Des chiffres cependant non exhaustifs. Au Cameroun, de nombreuses communautés camerounaises ont commencé à identifier leurs objets retenus dans ces musées et sont déterminées à les récupérer. Les communautés Tibati et Mabi souhaitent par exemple récupérer le Tangue ou bec naval de Lock Priso, ainsi que les reliques patrimoniales Nso encore appelées « Ngon so ». Le 26 juin 2021, le Président de la République Paul Biya a marqué son accord habilitant leur Majesté Sehm Mbinglo I, le fon de Nso et Paul Milord Bwanga, le chef supérieur du canton Belle Belle⁴ à entrer en négociation avec les musées allemands pour le rapatriement de leurs objets d’arts patrimoniaux qui s’y trouvent.
Actions entreprises
Le 25 mai 2022, au cours d’un Conseil de cabinet, le Premier Ministre Joseph Dion Ngute a prescrit l’élaboration d’une stratégie nationale de rapatriement des biens culturels illégalement exportés. Dans ce cadre, l’Etat a mis sur pied un comité interministériel chargé du rapatriement des biens culturels camerounais illégalement exportés à l’étranger, avec à sa tête le Ministère des Arts et de la Culture (MINAC). Installé en février 2023 et coordonné par le directeur du Musée national, cette instance est désormais la seule habilitée « à sélectionner, programmer et engager les démarches et pourparlers pour le rapatriement des biens culturels illégalement exportés en prenant en compte la spécificité de chaque pays » avec pour mission d’obtenir le retour des premiers objets d’art avant la fin de l’année en cours. D’ailleurs, « le Comité interministériel prévoit un voyage en juillet pour entamer les négociations. Le plus important pour le comité interministériel est le rapatriement des objets culturels des 4 aires culturelles pour que tous les Camerounais se sentent concernés », dit Hugues Heumen Tchana, directeur du Musée national.
La preuve
Cependant, selon le Dr Rachel Mariembe, chef de département de Patrimoine et muséologie à l’Institut des Beaux-Arts de Nkongsamba, « identifier les œuvres à restituer ne suffit pas. L’Etat demandeur doit pouvoir démontrer que l’œuvre revendiquée lui appartient bel et bien. Plus sérieux encore, que cette œuvre a été acquise de manière illégale ». C’est généralement à ce niveau que la procédure coince car plusieurs collectionneurs affirment que les objets qu’ils possèdent n’ont pas été pillés mais offerts en signe d’amitié. Leurs déclarations sont d’autant plus difficiles à démentir qu’à l’époque, le rapport dominant-dominé entouré de ruse et de pression biaisait quelque peu le concept de don. Il revient donc aux parties prenantes de ressortir le contexte dans lequel l’acquisition s’est déroulée. Cela pose aussi la question de savoir si la personne qui a vendu ou donné l’œuvre en était le légitime propriétaire. Prouver donc qu’un objet a été illégalement acquis peut exiger des années de travail et mobiliser de nombreuses expertises anthropologiques, sociales et même juridiques.
C’est le cas du masque Tukah des Bamendou, qui représente les différentes sociétés secrètes de ce groupement de l’Ouest Cameroun. Le masque Tukah a été emporté par le Dr Pierre Harter en 1950, remis au Musée du quai Branly et exposé aujourd’hui au Pavillon des Sessions du Louvre. Offert, dit l’actuel chef Bamendou Gabriel Tsidie, par l’ancien roi, Sa Majesté Ndongmo, au Dr Harter pour le remercier des guérisons opérées dans le village. Spolié, disent les activistes bamendou qui réclament le retour de cet objet, sans que cette demande soit formelle. En désespoir de cause, à l’occasion de l’exposition « Sur la route des chefferies du Cameroun. Du visible à l’invisible » présentée au Musée du Quai Branly Jacques Chirac d’avril à juillet 2022, une rencontre des deux masques Tukah a permis de transférer les pouvoirs, par contact physique, du masque exposé en France au nouveau masque Tukah fabriqué en 2010, et qui est retourné à Bamendou pour servir aux rituels. Un évènement inédit dans le monde muséal. C’est pour poser les bases d’une restitution que la Route des Chefferies a organisé cette exposition temporaire hors du commun qui reposait sur une démarche originale : faire partir des objets du Cameroun pour la France. Au moment où l’on souhaite voir les œuvres faire le chemin inverse, cette exposition qui a eu le mérite de bousculer les codes a permis de présenter au public occidental, une autre approche muséale.
Critères de restituabilité
Un autre élément qui pourrait freiner le retour des biens culturels au Cameroun est l’absence de structures à même d’accueillir les œuvres demandées. En effet, le rapport⁵ « Patrimoine partagé : universalité, restitutions et circulation des œuvres d’art ; vers une législation et un doctrine française sur les critères de restituabilité pour les biens culturels » produit par Jean Luc Martinez, l’Ambassadeur français pour la coopération internationale dans le domaine du patrimoine, Président-directeur honoraire du Musée du Louvre, compte parmi les « critères de restituabilité » le fait que l’Etat requérant s’engage à « conserver la nature patrimoniale et la présentation au public » afin d’éviter entre autres que la restitution ne vienne approvisionner un trafic d’objets culturels.
Pour Bergeline Domou, activiste, les œuvres devraient être retournées au Cameroun sans conditions : « le débat serait à ce stade quand tous les blocages institutionnels et non que l’on remarque seront levés, quand la volonté des détenteurs de notre patrimoine culturel sera réelle. Nous devons nous mobiliser, nous organiser en tant que Nation pour qu’on nous les restitue ». Pour Hugues Heumen Tchana, la question des lieux de conservation ne se pose même pas. « Poser cette question revient à parler en filigrane de l’incapacité des musées africains à conserver leurs objets. Et pourtant ces objets sont partis de l’Afrique en bon état de conservation. Même s’il faudra des réajustements internes, donnez-nous d’abord nos objets ! », réclame-t-il.
Directeur de l’Ecole du patrimoine africain au Bénin, Dr Franck Ogou souligne que la question des musées ne doit donc pas être prise à la légère. Et d’ajouter qu’« au Bénin par exemple, la restitution a entrainé une série d’actions parmi lesquelles la construction/réhabilitation de musées ». Plusieurs experts du patrimoine estiment pourtant que le Cameroun a déjà ce qu’il faut. Le Musée national bénéficie d’ailleurs de l’assistance technique d’Expertise France pour se hisser aux standards internationaux, afin d’accueillir prochainement les œuvres de retour.
Dans un contexte effervescent avec les restitutions en cours dans les pays comme l’Allemagne, la Belgique et le Royaume-Uni vers la Côte d’Ivoire, le Nigéria et la République démocratique du Congo, la société civile camerounaise s’engage. Le programme La Route des chefferies amène les populations à se réapproprier leur patrimoine. Elle travaille à la construction d’une Cité internationale du patrimoine et des ICC, qui va être, à partir de 2024, un hub des industries culturelles et créatives avec un laboratoire de restauration des biens culturels, sur financement de l’Agence Française de Développement. L’ambition de ce centre en création est d’accueillir les œuvres de retour dans les conditions correctes pour leur conservation et leur valorisation.
Par ailleurs, en mai 2023, il y a eu au Cameroun des ateliers organisés sous le titre « Le retour des choses : Objets, archives et création en temps de restitution ». Une centaine de scientifiques, d’artistes, de professionnels du patrimoine et d’instituts culturels du monde ont déplacés le débat en Afrique, sous le prisme du retour. Des espaces de débats ont permis de réfléchir au retour des objets et à leur symbolique, mais aussi aux réparations. Pour Hugues Heumen Tchana, « les restitutions participent à la reconstitution de la mémoire collective et du sentiment de fierté et de bien-être perdu ». Intervenante à ces ateliers, Bergeline Domou pense qu’« évoquer une réparation, qu’elle soit symbolique ou pas en l’état actuel des choses, c’est noyer la réalité des retours de nos objets culturels… Jusqu’ici les pays que ce soit la France, l’Angleterre, l’Allemagne, les Musées, les privés n’envisagent pas de restituer, et aborder toute autre question c’est contourner le vrai problème qui est celui de la restitution ou du retour de notre patrimoine culturel ».
Le problème est clairement posé, et la solution attendue.
Notes
1 Patrimoine culturel : le sultan sur le trône en Allemagne. Youtube, Naja Tv, 12 juin 2023
2 Felwinne Sarr et Benedicte Savoy, rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain, 2018, Paris
3 Louise Wagon, Le Journal des arts, Les musées allemands détiendraient 40.000 objets du Cameroun, 2023
4 Yvette Mbassi, Cameroun Tribune, Un travail de fond se fait, 01 juillet 2022
5 Jean Luc Martinez, Rapport Patrimoine partagé : universalité, restitutions et circulation des œuvres d’art ; vers une législation et un doctrine française sur les critères de restituable pour les biens culturels, 2023