Il est bien entendu que la gestion des relations culturelles internationales doit être équitable. Nous avons décidé d’analyser ce que signifie la notion d’équité dans le contexte d’un monde instable, incertain, complexe et ambigu, caractérisé par un équilibre inégal des pouvoirs et par de graves inégalités et injustices qui remontent au passé mais persistent dans nos modes contemporains de connaissance et d’action. Dans ce contexte, l’équité est un synonyme ou un raccourci pour l’adoption de relations culturelles authentiques qui éclipsent les dichotomies de pouvoir et promeuvent le potentiel de la culture pour le développement.
Le cadre de collaborations équitables est, pour nous, profondément ancré dans le terme de décolonisation en tant que méthodologie pour parvenir à une justice réparatrice par le biais de la liberté culturelle, psychologique et économique. Nous nous demandons comment l’équité, en tant que cadre de travail, peut donner un aperçu des besoins uniques et différenciés des parties, des défis et des risques associés à leur collaboration. Comme l’affirment Bonet et Schargorodsky, “Les relations culturelles internationales doivent se préoccuper de l’élément de réparation et reconnaître les voies coloniales qui sous-tendent ces relations” (2018).
Chacun d’entre nous qui gère les relations culturelles internationales doit adopter un état d’esprit qui remet constamment en question ses hypothèses et vérifie ses angles morts afin de pouvoir démontrer en toute confiance son profond respect pour ses partenaires et sa volonté d’écouter. En bref, nous devons adopter l’”ubuntu” dans tout ce que nous faisons. Cela exige de l’humilité et la reconnaissance publique de sa position et de ses privilèges.
Nous nous sommes demandé si nous pouvions utiliser l’équité comme cadre pour la pratique des relations culturelles et, dans l’affirmative, comment ce terme pouvait-il être compris par ceux qui travaillent dans le domaine des relations culturelles ? L’une de nos réponses concerne le contrôle de l’équité dans la gestion des relations culturelles internationales (RCI) en veillant à ce que l’équité soit visible dans l’ensemble du cycle de vie du projet de coopération internationale, de la conception à l’évaluation.
En posant ces questions, nous reconnaissons que beaucoup d’autres ont non seulement posé des questions similaires, mais ont également tenté de développer des boîtes à outils, des méthodologies, des cadres ou des chartes pour ceux qui pratiquent les relations culturelles internationales. Il s’agit notamment du British Council, de Creative Carbon Scotland, de Dutch Culture avec IETM et On the Move, de Julie’s Bicycle, du Flanders Arts Institute, du ministère finlandais de l’éducation, du projet Reshape EU Creative Europe ou de l’UNESCO.
Rendre l’équité visible dans l’ensemble du cycle de gestion du projet
L’un des éléments préparés pour l’EUNIC, qui n’est pas une boîte à outils, était un vérificateur d’équité pour la gestion de projets collaboratifs en sept étapes : conception, idéation et pré-planification, planification, mise en œuvre, suivi, évaluation, apprentissage, adaptation et intégration. En construisant un « vérificateur » d’équité, nous avons veillé à prendre en compte les perspectives individuelles, organisationnelles et sociétales à travers différentes dimensions telles que l’économie, l’écologie, la culture et la société, ainsi que les aspects technologiques et géopolitiques. Les questions sont formulées de manière à ce que les individus ou les organisations puissent y répondre pour susciter des réflexions basées sur l’évaluation et le positionnement, de sorte que l’individu ou l’organisation puisse déterminer les actions futures susceptibles d’évoluer vers des collaborations plus équitables. Cette réflexion peut être menée avant, pendant et après le projet.
En utilisant l’approche du cycle de vie du projet, nous proposons des questions directrices — contexte, contenu, concepts et valeurs de collaboration équitable — qui pourraient nous aider à vérifier notre équité dans la gestion des relations culturelles internationales. Pour les besoins de cet examen, nous nous concentrons sur les organisations à travers une série de dimensions en fonction du cycle de vie du projet.
Phase 1 : Conception, idéation et pré-planification
D’un point de vue social, nous nous demandons : « Avec qui voulons-nous collaborer et pourquoi ? Veulent-ils collaborer avec nous et pourquoi ? L’idée du projet a-t-elle émergé d’un diagnostic avec des partenaires potentiels ? Si ce n’est pas le cas, comment cela peut-il se faire ? »
La dimension économique pose la question de savoir si tout le monde a pu participer : « Nous donnons-nous suffisamment de temps et de ressources pour que l’idée et le projet se développent ? Les partenaires sont-ils d’accord pour dire que ce temps et ces ressources sont suffisants ? »
La dimension géopolitique s’interroge sur les déséquilibres de pouvoir souvent présents dans les projets de relations culturelles internationales : « Quelle est l’origine et l’objectif de l’idée du projet ? Dans quelle mesure l’idée découle-t-elle des conditions locales, des discussions locales et des besoins locaux ? Le projet contribue-t-il à la décolonisation des relations culturelles ? »
Phase 2 : Planification
La dimension écologique pose des questions essentielles telles que « Devons-nous prévoir des ressources supplémentaires pour tenir compte du climat ? », tandis que la dimension économique concerne les ressources financières : « Disposons-nous de ressources financières suffisantes pour collaborer “équitablement” (par exemple, pour plus de communication et de temps d’équipe) ? »
Phase 3 : Mise en œuvre
La dimension culturelle pose la question du dialogue interculturel : « Notre communication est-elle transparente, interculturellement claire, explicite, suffisamment régulière ? Ai-je vérifié auprès de nos partenaires comment ma communication est reçue ? », tandis que la dimension économique pose la question de l’équité des honoraires : « Comment les salaires, les honoraires, etc. sont-ils calculés et payés ? »
Phase 4 : Suivi
La dimension culturelle pose la question du respect des accords : « Collaborons-nous dans l’esprit convenu auparavant ? », tandis que la dimension sociale pose la question de l’adaptation : « Est-il nécessaire d’adapter le plan de travail, le plan financier, la capacité des ressources humaines… ? » La dimension technologique pose la question de l’utilisation de la technologie numérique : « Quel outil technique ou numérique peut nous aider à suivre le projet ? Tous les partenaires sont-ils à l’aise avec cet outil ? »
Phase 5 : Évaluation
La dimension sociale pose la question de l’objectif de l’évaluation : « Communiquons-nous les résultats de l’évaluation à toutes les parties prenantes (ou seulement au bailleur de fonds) ? », tandis que la dimension écologique questionne l’engagement en faveur de la sensibilisation au climat : « Partageons-nous les résultats de notre travail en termes d’empreinte écologique ? » La dimension technologique s’interroge sur les éventuelles inégalités en matière d’apports : « Les différents apports (en nature, en co-création, en temps investi) ont-ils été valorisés de manière égale dans la collaboration ? »
Phase 6 : L’apprentissage
La dimension culturelle pose la question de savoir comment l’apprentissage a lieu ; la dimension sociale pose la question de la transparence lorsque la confidentialité est requise : « Comment puis-je partager des enseignements généraux sans compromettre la confidentialité de ce projet ? » et « Les enseignements tirés sont-ils explicites (y compris les raisons) et applicables ? »
Phase 7 : Adaptation et intégration
La dimension culturelle pose à cette phase une question primordiale : « Sommes-nous capables et désireux d’intégrer les enseignements tirés dans la culture du travail / de l’institution / du projet, dans le cycle de gestion du projet ? », tandis que la dimension économique pose la question suivante : « Comment pouvons-nous adapter la planification budgétaire pour rendre les futurs projets de collaboration plus durables ? » La question géopolitique est importante car elle concerne la transparence des enseignements : « Quelle plateforme pouvons-nous utiliser pour partager les enseignements tirés ? »
Réflexions finales
Il n’y a aucune garantie d’équité dans notre monde extrêmement divisé, avec un accès inégal aux infrastructures financières, à l’éducation ou à la technologie. Cependant, puisque les projets sont la mise en œuvre pratique des relations culturelles internationales, il est important de vérifier l’équité dans la gestion des relations culturelles internationales et, en particulier, de s’interroger sur l’équité avant même le début des projets, jusqu’à l’identification des leçons tirées de ce projet et leur mise à profit. Le Fairness Checker Game (ou « jeu de vérification d’équité ») développé pour EUNIC est un outil destiné aux gestionnaires et praticiens des relations culturelles. Nous pouvons vérifier l’équité de multiples façons : d’autres options consistent à commencer par examiner si l’organisation elle-même fonctionne selon des principes d’équité, par exemple au moyen de la roue organisationnelle de l’équité. Plus radicalement, cela pourrait inclure le développement d’une plus grande agence et l’insistance sur le leadership du Sud global avec le soutien du gouvernement pour l’accès aux ressources financières et techniques afin que le programme provienne du Sud global et soit évalué selon les termes développés par les praticiens des relations culturelles actifs dans le Sud global. Mais il s’agit là d’un sujet pour une autre fois.
Bibliographie et ressources
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Bonet, L., et Schargorodsky, H. (2018). Theatre management: Models and strategies for cultural venues. Elverum: Kunnskapsverket.
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British Council, Equity, Diversity and Inclusion, https://www.britishcouncil.org/about-us/our-values/equality-diversity-inclusion
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Creative Carbon Scotland, Adapting Our Culture: A toolkit for cultural organisations planning for a climate changed future, https://ocm.iccrom.org/documents/adapting-our-culture-toolkit-cultural-organisations-planning-climate-changed-future
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Dutch culture with IETM and On the Move, Beyond Curiosity and Desire: Towards fairer international collaboration in the arts, https://dutchculture.nl/en/news/new-toolkit-fairer-international-collaborations
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EU, European Spaces of Culture Taking EU cultural relations to the next level, https://europeanspacesofculture.eu/
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Flanders Arts Institute, Re-framing the International, https://www.kunsten.be/en/research/internationaal-werken/re-framing-the-international/
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Finish Ministry of Education, 2007 Fair Culture? Ethical dimension of cultural policy and cultural rights, https://julkaisut.valtioneuvosto.fi/bitstream/handle/10024/79463/opm21.pdf?sequence=1&isAllowed=y
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Julie’s Bicycle, https://juliesbicycle.com/about-us/
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Reshape EU Creative Europe Project An Experiment in Collaborative Change-making in the Arts, https://reshape.network/uploads/document/file/203/Reshape_FR.pdf
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UNESCO, Fair Culture – a key to sustainable development, https://www.unesco.de/sites/default/files/202101/FairCulture_Discussion_Paper_Uni_Laval_DUK.pdf
Notes
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Basé sur “Not a Toolkit : fair collaboration in cultural relations – a ReflAction” pour EUNIC. Texte disponible ici : https://www.eunicglobal.eu/fair-collaboration
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Sur la notion d’Ubuntu : « je suis parce que nous sommes » https://fr.wikipedia.org/wiki/Ubuntu_(philosophie)