Introduction
Les preuves de la crise planétaire, et de la responsabilité de l’homme dans celle-ci, sont visibles chaque jour autour de nous. Selon les dernières études, nous avons franchi le seuil de six des neuf « frontières planétaires » qui régulent la stabilité et la résilience du système terrestre et qui permettent à l’humanité de continuer à se développer, notamment l’intégrité de la biosphère, le changement climatique et le changement de l’eau douce (Richardson et al., 2023).
Le caractère inéluctable de la crise planétaire et climatique signifie qu’elle affecte tous les domaines de la vie. Ses causes humaines appellent également des changements dans les modes de vie, les actions et les comportements, dans un processus qui nécessite de gagner en résilience, d’atténuer les impacts négatifs du changement climatique sur la planète, de s’adapter aux conditions changeantes et d’adopter des mesures pour « régénérer » ou réparer les dommages causés à l’écosystème humain et planétaire.
En raison de ces preuves scientifiques et de cette responsabilité éthique, les professionnels et les organisations du secteur culturel sont également appelés à agir dans ce domaine. En effet, comme le montre cet article, ils ont beaucoup à apporter à la sensibilisation à l’environnement et au changement de valeurs et de comportements qu’exige la crise climatique. Il existe également des raisons plus pragmatiques d’agir, comme le fait que les gouvernements conditionnent de plus en plus le financement de la culture à l’intégration de critères environnementaux.
Ces derniers temps, un très grand nombre de rapports, de guides, de boîtes à outils et d’événements ont été consacrés à la relation entre la culture et la durabilité environnementale, dont certains seront cités dans cet article. De nombreux professionnels de la culture connaissent déjà les stratégies et les approches existantes et agissent dans ce domaine. En même temps, ce domaine reste complexe pour d’autres, qui peuvent être plus incertains sur la façon dont ils peuvent prendre des mesures dans ce domaine. C’est pourquoi ce texte a été conçu comme une introduction, en particulier pour les professionnels de la culture actifs au niveau local, au cas où ils auraient besoin d’inspiration et de conseils pour savoir par où commencer.
Culture et durabilité : quelques considérations initiales
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La définition la plus courante du développement durable le conçoit comme un « développement qui répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs » (Commission mondiale sur l’environnement et le développement, 1987). Plusieurs auteurs ont souligné que ces besoins sont déterminés par la culture et liés à des valeurs (Hawkes, 2001; Kangas, Duxbury et De Beukelaer, 2017). Par conséquent, la durabilité comporte une dimension culturelle importante.
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Cependant, les approches dominantes du développement durable ou de la durabilité ont tendance à ignorer la dimension culturelle, en se concentrant principalement sur les aspects sociaux, économiques et environnementaux, et en n’incluant qu’occasionnellement quelques références aux aspects culturels. L’Agenda 2030 pour le développement durable adopté par les Nations unies en 2015, qui ne comprend que quelques références secondaires à la culture, en est un exemple clair. À cet égard, des efforts tels que ceux de la campagne #culture2030goal et d’autres, qui appellent à une reconnaissance plus visible de la culture dans les agendas de durabilité, sont nécessaires et doivent être soutenus.
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Les aspects culturels sont également importants pour la durabilité car ils sont liés aux connaissances, aux récits, aux valeurs et aux comportements. En fin de compte, la transition climatique n’est pas principalement une question de changement technologique (par exemple, l’utilisation d’énergies plus propres), mais de notre relation à la planète et à l’autre, de nos aspirations, etc. Cela renforce la nature culturelle du changement nécessaire et place les acteurs culturels dans une position importante pour favoriser la réflexion et l’adaptation.
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La transition nécessaire vers la durabilité, l’adaptation et la régénération face à la crise planétaire est holistique, c’est-à-dire qu’elle doit englober des changements dans les modèles culturels, environnementaux, sociaux, économiques et politiques, qui sont tous liés. Bien que cet article se concentre particulièrement sur la relation entre la culture et les aspects environnementaux, il est important de rappeler que les aspects sociaux (tels que l’égalité et la justice climatique), économiques (tels que le changement du consumérisme et de la production de masse) et politiques (tels que la garantie des droits de l’homme et la gouvernance participative) sont étroitement liés.
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Si la crise planétaire affecte évidemment tous les êtres humains, certains moyens d’action sont spécifiques à chaque territoire et à chaque société ils peuvent dépendre de l’environnement naturel, des modes de vie et d’action locaux, des cadres institutionnels, etc. Par conséquent, bien que cet article fournisse des exemples et des conseils pour s’inspirer, les acteurs culturels sont invités à réfléchir à la meilleure façon d’agir dans leur propre contexte.
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Face à la crise actuelle, il est facile de se noyer dans le pessimisme, ce qui peut conduire à l’inaction. Si cela est compréhensible, il est également possible de revoir ce qui nous déplaît dans le monde actuel et de contribuer à la construction de sociétés plus justes et plus adaptées aux valeurs auxquelles nous croyons. En particulier, les artistes et les professionnels de la culture peuvent aider à imaginer de nouveaux modes de vie, ce qui renforce le caractère central de la discussion sur la culture et la durabilité environnementale.
Quelques domaines d’action possibles
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Contenu culturel. Les organisations culturelles créent, préservent et gèrent des connaissances, des histoires, des images, des symboles et des récits. Cela inclut les organisations patrimoniales, les organisations culturelles qui produisent ou programment des œuvres, des spectacles, des expositions et des événements, les initiatives artistiques qui explorent les liens avec la nature et de nouveaux modes de vie, et les collaborations avec écoles, organisations environnementales, groupes de citoyens… La programmation d’œuvres, de productions et d’événements liés à la nature et à la durabilité peut aussi sensibiliser le public à ces questions.
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Approches participatives. La transition vers la durabilité exige de prendre en compte nos valeurs et nos modes de vie et de favoriser l’adaptation et le changement. Les organisations culturelles, en particulier au niveau local, peuvent mettre en place des activités participatives et interdisciplinaires : ateliers éducatifs, laboratoires de science citoyenne, partenariats avec des groupes de quartier, etc. Exemples : des Maisons de Jeunes créant des vergers ou espaces de permaculture (Courtin et Capozzi, 2024), ou des bibliothèques locales autour de Barcelone engagées dans des débats sur la mobilité durable (Baltà Portolés et Bashiron Mendolicchio, 2021).
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Changer les pratiques. De nombreux guides, consultants et experts aident à modifier les pratiques internes pour réduire l’impact environnemental : approvisionnement et consommation d’énergie, gestion des déchets, achats durables (menus végétariens, approvisionnement local…), mobilité raisonnée, etc. Exemples : audit énergétique des Brigittines, charte de mobilité du Théâtre de Liège, calculateurs carbone. Le réseau On the Move propose la « mobilité verte », adaptée au contexte et au besoin.
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Formation, apprentissage et évolution des méthodes de travail. Le lien entre culture et durabilité nécessite réflexion, échange et formation. Initiatives notables : guides de Julie’s Bicycle, Creative Carbon Scotland, ou encore la série Regards croisés de Pulse Transitienetwerk, EventChange et Rab/bko. Conférences, ateliers, groupes de travail internes, échanges de pairs sont autant de leviers pour progresser.
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Stratégies et soutien politique. L’adoption de stratégies, chartes ou plans d’action (par ex. le plan de la FEAS) aide à structurer le changement, identifier les besoins, et obtenir financements et soutiens extérieurs. Cela doit être adapté à chaque contexte organisationnel.
Ressources complémentaires
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EventChange : https://eventchange.be/
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Pulse Transitienetwerk : https://www.pulsenetwerk.be/ ; Outils et bonnes pratiques : https://www.cultuurzaam.be/
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Julie’s Bicycle : https://juliesbicycle.com/
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Creative Carbon Scotland : https://www.creativecarbonscotland.com/
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Projet SHIFT : https://shift-culture.eu/achieve-environmental-sustainability-in-your-work/
Certification européenne : https://www.creativecarbonscotland.com/eco-certification/ -
Theatre Green Book : https://theatregreenbook.com/
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NEMO (musées européens) : https://www.nemo.org/resources/
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On the Move : https://on-the-move.org/about/sustainability-policy
Yearbook : https://on-the-move.org/resources/library/cultural-mobility-yearbook-2023
https://on-the-move.org/resources/library/cultural-mobility-yearbook-2024
Réflexions finales
Cet article a pour but de présenter la question complexe, mais nécessaire, de la manière dont les organisations culturelles locales peuvent aborder la durabilité environnementale et la crise climatique dans leur travail. Il vise à faciliter une réflexion située sur ce que la crise implique dans chaque contexte et sur les mesures qui peuvent être adoptées. Les lecteurs sont invités à explorer les domaines d’action et ressources mentionnés.
Cette transition nécessite le soutien des pouvoirs publics à tous les niveaux, qui doivent faciliter le changement mais aussi comprendre sa complexité. Programmes de conseil, formation, financement sont nécessaires, et la reconnaissance des organisations pionnières sera précieuse pour diffuser les bonnes pratiques. La vitesse et l’ampleur du changement doivent être adaptées à chaque contexte organisationnel, et le soutien à moyen et long terme est essentiel.
Références
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Baltà Portolés, J., & Bashiron Mendolicchio, H. (2021). Culture, the environment and the climate emergency. How to act in the field of local cultural policies and management. Barcelona, Diputació de Barcelona. https://llibreria.diba.cat/cat/llibre/culture-the-environment-and-the-climate-emergency_69011
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Bianchi, G., Pisiotis, U., & Cabrera Giráldez, M. (2022). GreenComp – The European sustainability competence framework. Luxembourg, Publications Office of the EU. https://joint-researchcentre.ec.europa.eu/greencomp-european-sustainability-competence-framework_en
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Courtin, A., & Capozzi, J. (2024). Maison de jeunes : qu’est-ce que faire culture avec la jeunesse ? In : EventChange, Forum de la Culture Durable. Rapport 2023. https://eventchange.be/wp-content/uploads/2024/03/Forum-Rapport-version-web-VersionFinale.pdf
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FEAS – Fédération des Employeurs des Arts de la Scène. (2023). Développement Durable & Arts de la Scène. Notre Plan d’Action. FEAS. https://feas.be/wp-content/uploads/2023/09/FEAS2023_FullPackage_Print_V07.pdf
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Kangas, A., Duxbury, N., & De Beukelaer, C. (2017). Introduction: cultural policies for sustainable development. The International Journal of Cultural Policy, 23(2), 129-132. https://www.tandfonline.com/doi/full/10.1080/10286632.2017.1280790
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Hawkes, J. (2001). The Fourth Pillar of Sustainability: Culture’s essential role in public planning. Melbourne, Cultural Development Network (Vic) / Common Ground Publishing. https://www.culturaldevelopment.net.au/downloads/FourthPillarcomplete.pdf
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On the Move. (2023). On the Move’s Sustainability Policy. On the Move. https://on-the-move.org/sites/default/files/inline-files/OTM_sustainability-policy.pdf
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Richardson, K., Steffen, W., Lucht, W., Bendtsen, J., et al. (2023). Earth beyond six of nine planetary boundaries. Science Advances 9: 37. https://www.stockholmresilience.org/research/research-news/2023-09-13-all-planetary-boundaries-mapped-out-for-the-first-time-six-of-nine-crossed.html
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World Commission on Environment and Development. (1987). Our Common Future. Oxford, Oxford University Press.