La manière de mesurer la valeur de la culture dans le développement a fait l’objet de nombreuses discussions. Les tentatives faites par des organisations telles que l’UNESCO, l’OCDE, la CNUCED et d’autres sont souvent conçues pour le niveau national ou, dans le cas de la CGLU, pour le niveau de la municipalité locale. Récemment, sous les auspices de l’association KOΛEKTIVA (collectif pour l’innovation social et la culture), Lina Kirjazovaite, Avril Joffe et Matina Magkou, ainsi que le groupe de travail sur la culture et le développement du Réseau des Praticiens européens du développement (RP)¹ ont élaboré un guide pour mesurer l’impact de la culture dans la coopération au développement², pour soutenir la mesure, le suivi et l’évaluation de la culture dans les programmes et les projets de coopération au développement. Ces programmes et projets de développement sont principalement mis en œuvre au niveau infranational et peuvent être très étroitement axés sur des lieux géographiques particuliers.

Ce projet de deux ans a engagé tous les membres du Réseau des Praticiens dans le débat en cours sur l’impact de la culture dans le développement durable et comportait un certain nombre de composantes, dont les principales étaient un examen et une cartographie du débat sur l’impact de la culture dans le développement durable ; des réflexions sur la cartographie pilote 2020 du travail des membres du RP ; un examen des cadres existants de Suivi et Evaluation et d’indicateurs développés par des organisations telles que l’UNESCO, l’OCDE, la CGLU (Cités et Gouvernements Locaux Unis,) etc. La méthodologie était participative et comprenait une enquête interne auprès des membres du RP, des réflexions d’une équipe de référence sur la série finale d’indicateurs, des discussions en ligne et deux ateliers hybrides.

Le résultat de cette méthodologie est un guide qui propose un ensemble d’indicateurs de sensibilisation à la valeur de la culture et de l’apprentissage pour aider les membres du RP à repenser leur propre travail au sein d’une communauté de pairs, à comprendre ses limites et à rechercher un terrain d’entente entre différents pays et des pratiques établies de longue date. Nous tenions à ce que ce cadre commun soit à la fois exhaustif et flexible pour permettre au réseau des RP de décider quels indicateurs sont pertinents et réalisables pour leurs projets et programmes respectifs. À cette fin, nous avons proposé une combinaison d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs pour permettre aux membres des RP d’apprendre ensemble et d’élargir leur propre répertoire de méthodes afin d’éclairer la réalisation des résultats en matière de développement. Une série de méthodes créatives ont été adoptées parallèlement aux méthodes quantitatives, car elles ont la capacité de communiquer l’impact avec une plus grande spécificité narrative. Nous avons également proposé un glossaire afin que tous les membres des RP aient une compréhension commune de la signification de chaque indicateur. Le glossaire apporte un soutien aux membres du RP pour des termes tels que culture, co-création, pertinence contextuelle, sécurité culturelle, diversité des voix, écosystème, perspective de genre et développement inclusif. Il s’appuie sur des sources bien référencées pour soutenir une compréhension commune et la mise en œuvre de ces termes.

Le réseau RP est également confronté à des défis similaires à la mesure au niveau national de la valeur de la culture dans le développement, à savoir des données insuffisantes, l’absence d’études de base et des informations spécifiques rares qui limitent la capacité à mesurer le changement ou le progrès de l’initiative de développement. Plutôt que de partir de zéro, l’équipe a décidé d’examiner les outils et les plateformes de mesure disponibles auprès de plusieurs agences afin de soutenir le processus de prise de décision quant à l’opportunité et à la manière d’adopter un cadre commun au sein du réseau. Nous avons passé en revue les éléments suivants :

  • Le cadre de suivi 2005 de l’UNESCO

  • La série d’indicateurs de l’UNESCO sur la culture et le développement

  • Les indicateurs Culture|2030 de l’UNESCO

  • Les indicateurs culturels de la CGLU Culture 21

  • La dimension culturelle du développement durable d’EUNIC

  • Le Modèle de Valeur Culturelle du Centre for Cultural Value

  • La boîte à outils sur la culture pour les ODD (Objectifs de Développement Durable) de la Commission canadienne pour l’UNESCO

  • Les critères d’évaluation du réseau OCDE-CAD sur le développement

Cet examen a été présenté lors du premier atelier hybride et, après de nombreuses discussions, il a été décidé d’utiliser les indicateurs thématiques de l’UNESCO pour la culture dans l’Agenda 2030 (Indicateurs Culture|2030 de l’UNESCO) comme guide pour le praticien du développement de la RP, car ils concernent directement les résultats en matière de développement. L’avantage des Indicateurs Culture|2030 de l’UNESCO est qu’il s’agit d’un cadre dont le but est de mesurer et de suivre les progrès de la contribution de la culture à la mise en œuvre nationale et locale des objectifs et des cibles de l’Agenda 2030, à la fois en tant que secteur d’activité et de manière transversale à travers d’autres secteurs, qui sont tous des résultats de développement. Les indicateurs Culture|2030 combinent une variété de données, y compris des indicateurs quantitatifs et qualitatifs, et s’appuieront autant que possible sur des sources de données existantes. Nous reconnaissons que l’objectif ou l’intention initiale était la collecte de données nationales le niveau macro, plutôt que les programmes régionaux (niveau méso) ou même les petits projets et programmes dans des espaces géographiques très définis (le niveau micro). Cependant, il a été jugé important que les membres du RP montrent comment de petites interventions locales ou régionales sont capables de conduire un changement progressif et de rendre visibles les interventions ascendantes menées par les communautés. De cette manière, les membres du RP seront en mesure de démontrer la durabilité et l’impact global de la coopération au développement. Le consensus était que les indicateurs Culture|2030 rendraient visible la contribution de la culture au développement, mettraient l’accent sur la nécessité de renforcer les capacités des agences et des institutions culturelles concernées et soutiendraient les politiques et les actions fondées sur des preuves que les membres du RP doivent fournir dans leurs rapports.

En fournissant des indicateurs de plaidoyer, nous avons tenu à poser la question « Faisons-nous ce qu’il faut ? » pour soutenir la mesure de l’efficacité du travail des membres de la RP. Les indicateurs d’apprentissage posent la question suivante : « Faisons-nous les choses de la bonne manière ? » afin d’aider les membres de la RP à apprendre des pratiques des autres.

Suivant les indicateurs Culture|2030, nos indicateurs de plaidoyer posent les questions suivantes :

  1. Environnement et résilience [cette dimension évalue le niveau d’engagement des membres de la RP dans la sauvegarde du patrimoine culturel et naturel et vise à fournir des preuves de la gestion durable du patrimoine et de l’inclusion des connaissances traditionnelles dans une planification sensible à la culture. Cette dimension évalue également les aspects physiques/spatiaux de la qualité de l’environnement urbain, y compris l’espace public et l’infrastructure culturelle.]
    a. Les programmes permettent-ils et favorisent-ils la résilience ?
    b. Les programmes sensibilisent-ils à l’importance de l’inclusion des savoirs traditionnels/de la sensibilité culturelle dans le développement ?
    c. Les programmes contribuent-ils à la qualité de l’environnement urbain (espace public et infrastructure culturelle) ?

  2. Prospérité et moyens de subsistance [cette dimension évalue la contribution des programmes culturels des membres du RP qui contribuent aux aspects clés de l’économie (croissance, emploi, création d’entreprises culturelles, investissements dans la culture)].
    a. Les programmes apportent-ils la preuve qu’un développement économique (inclusif) a eu lieu ?
    b. Les programmes catalysent-ils les futurs investissements publics dans la culture (infrastructures, subventions, programmes) ?
    c. Les programmes ont-ils un impact sur l’emploi (en particulier pour les femmes, les jeunes et/ou d’autres groupes vulnérables) ?

  3. Connaissances et compétences [cette dimension évalue la contribution de la culture au développement des connaissances et des compétences et à la promotion de l’autonomisation par le biais de processus, de politiques et de matériels d’éducation et de formation. Elle met l’accent sur le rôle de la diversité culturelle dans l’éducation formelle et non formelle, ainsi que dans la formation professionnelle, et se concentre sur le développement approfondi des programmes d’études pour intégrer les connaissances culturelles. Les indicateurs proposés évalueront le niveau d’engagement des programmes des membres du RP dans l’intégration et l’exploitation des connaissances culturelles pour favoriser le respect et l’appréciation de la diversité culturelle, la compréhension du développement durable et la transmission des valeurs culturelles, ainsi que pour donner la priorité à la formation culturelle et promouvoir les aptitudes et les compétences dans les domaines créatifs].
    a. Les programmes ont-ils un impact sur les résultats éducatifs ?
    b. Les programmes soutiennent-ils l’intégration/l’exploitation des connaissances culturelles locales pour favoriser le respect et l’appréciation de la diversité culturelle ?
    c. Les programmes contribuent-ils à l’éducation au développement durable ?

  4. Inclusion et participation [cette dimension évalue la contribution de la culture au renforcement de la cohésion sociale, ainsi qu’à la promotion de l’inclusion et de la participation. Elle se concentre sur les capacités des personnes à accéder à la culture, sur le droit de tous les individus à participer à la vie culturelle et sur leur liberté d’expression culturelle, y compris la liberté artistique et créative].
    a. Les programmes améliorent-ils l’inclusion sociale ?
    b. Les programmes promeuvent-ils la liberté d’expression artistique et la valeur de la diversité culturelle ?
    c. Les programmes améliorent-ils la participation culturelle ?

La série d’indicateurs d’apprentissage fournit un cadre pour contrôler la manière dont les membres du RP développent et mettent en œuvre leur culture dans le travail de développement. Les questions directrices sont les suivantes :

  1. Focus sur les bénéficiaires [cette dimension stimule la réflexion sur la mesure dans laquelle les programmes apportent des avantages tangibles aux bénéficiaires, en tenant compte du contexte local, en promouvant la diversité culturelle et en renforçant les communautés, ainsi que leur participation et leur implication active dans les pratiques de S&E à tous les stades de la mise en œuvre du programme].
    a. Des avantages tangibles sont-ils apportés aux bénéficiaires, en tenant compte de leurs besoins et grâce à leur engagement actif ?
    b. Le contexte local et la diversité culturelle sont-ils pris en compte dans la conception et la mise en œuvre du programme ?
    c. La participation active des communautés locales, des praticiens de la culture et des parties prenantes concernées est-elle assurée tout au long du cycle du projet ?

  2. Pratiques de suivi et d’évaluation équitables et éthiques [cette dimension examine comment les pratiques de suivi et d’évaluation des programmes culturels dans le cadre des pratiques de coopération au développement s’alignent sur l’équité, les considérations éthiques et les principes de durabilité].
    a. Les cadres de suivi et d’évaluation et les méthodologies de collecte de données sont-ils sensibles à la culture ?
    b. Les pratiques de suivi et d’évaluation permettent-elles aux communautés locales de se prendre en charge et tiennent-elles compte des relations de pouvoir ?
    c. Les informations relatives au suivi et à l’évaluation sont-elles transparentes et accessibles à toutes les parties prenantes ?

  3. Communication, apprentissage et impact à long terme
    a. Les canaux de communication favorisent-ils efficacement la collaboration et l’apprentissage ?
    b. Les interventions sont-elles flexibles pour répondre aux situations imprévues/aux influences des développements du contexte local ?
    c. L’apprentissage est-il assuré dans la conception et la mise en œuvre du projet ?
    d. L’impact à long terme est-il pris en compte ?

Chacune de ces questions directrices, tant pour les indicateurs de plaidoyer que pour les indicateurs d’apprentissage, a été étayée par de multiples indicateurs parmi lesquels les membres du RP ont pu choisir lors de l’élaboration de leurs évaluations. Le guide fournit également une liste, des explications et des exemples de méthodes quantitatives et qualitatives, telles que la recherche de base, les statistiques et les chiffres permettant de vérifier ce qui a été fait, combien et dans quelle configuration, pour les premiers, et les réflexions, les récits des participants sur l’impact, l’analyse documentaire, les rapports des médias sur les projets, les podcasts, la vidéographie et la cartographie créative, pour les seconds.

Le guide n’est pas un cadre contraignant et offre beaucoup de flexibilité et de choix aux membres individuels du RP afin que cet ensemble unifié d’indicateurs directeurs puisse permettre au réseau de positionner la culture dans la coopération au développement et de démontrer l’impact de la culture et des initiatives culturelles dans ces programmes. Il est important que le processus d’élaboration du guide et, espérons-le, celui de sa mise en œuvre (tests et amendements) stimulent le dialogue, la réflexion et l’apprentissage au sein du réseau afin de soutenir les membres du RP dans cet important domaine de travail. Le processus collaboratif d’élaboration du guide n’a été qu’une étape, certes importante, dans la promotion d’une communauté de pratique pour ceux qui travaillent dans le domaine de la culture et de la coopération au développement.

Notes

1 Le Réseau des Praticiens (RP) est un réseau d’experts de la coopération européenne au développement, composé de 23 membres issus de 18 pays du continent, d’agences publiques de développement international de pays européens et de la Commission européenne, qui fait également office d’observateur. Le chantier Culture et développement est codirigé par l’AGENCIA ESPAÑOLA DE COOPERACION INTERNACIONAL PARA EL DESARROLLO – AECID, l’AICS et le British Council et Comprend également l’agence belge de coopération ENABEL.

2 Lina Kirjazovaite, Avril Joffe et Matina Magkou, Measuring Culture’s Impact in Development Cooperation : A Practical Guide, Bruxelles, 2024.


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