Les artistes, les pratiques artistiques et les institutions artistiques font partie intégrante de notre société et jouent un rôle significatif dans sa formation. En conséquence, il est souvent soutenu que le monde de l’art a une dimension politique intrinsèque. Cet argument est généralement étayé par des idées issues de la philosophie politique contemporaine. Par exemple, un modèle de démocratie absolue conçu par Michael Hardt et Antonio Negri (2001), et dans une certaine mesure par Paolo Virno (2004), a inspiré certains chercheurs à envisager la dimension politique du monde de l’art à travers des stratégies du retrait. Celles­-ci suggèrent que la dimension politique de l’art réside dans le retrait face à toute forme de représentation, d’identité ou d’institution. D’autre part, un modèle d’anarchisme communal conçu par Jacques Rancière (2006) a inspiré certains chercheurs à envisager la dimension politique du monde de l’art à travers des stratégies de rupture. Les stratégies de rupture suggèrent que la dimension politique de l’art réside dans la rupture de toute forme de représentation, d’identité ou d’institution. Alors que le premier point de vue vise à se débarrasser de toute forme d’ordre, le second vise à perturber continuellement cet ordre. Bien que chacune de ces perspectives présente des idées précieuses, aucune d’entre elles ne fournit à elle seule un cadre approprié pour envisager la constitution de formes de communauté proactives, la transformation d’une politique institutionnalisée dominante et la construction d’un ordre socio-politique alternatif.

 

Cet article vise à envisager la dimension politique du monde de l’art en s’inspirant du modèle de démocratie agonistique conçu par Chantal Mouffe. Avec Ernesto Laclau, Mouffe (2001) reconnaît que chaque configuration sociale, y compris les identités, les objets et les relations, est construite discursivement à travers les langages, les pratiques et les institutions. Ces éléments discursifs sont régulés par une politique dominante, formant ainsi des relations hégémoniques. Étant donné que l’hégémonie implique un moment d’exclusion, de conflit et d'(ant)agonisme des positions, un contre mouvement dirigé vers une contre hégémonie nécessite de s’engager avec les représentations, identités et institutions dominantes (Mouffe 2013). C’est par le biais d’un engagement stratégique avec une politique hégémonique que de nouvelles formes de subjectivité et de vivre ­ensemble peuvent être construites.

 

En s’appuyant sur la théorie de Mouffe et l’interaction entre artistes, institutions artistiques et pratiques artistiques, tout en mettant l’accent sur la scène artistique belge, cet article démontrera que la dimension politique du monde de l’art se manifeste dans la capacité à se conformer à un ordre politique hégémonique ou à le contester. La conformité renvoie à la tendance du monde de l’art à maintenir, intentionnellement ou non, un ordre politique dominant, sans remettre en question ses implications. En revanche, la contestation implique la tendance du monde de l’art à remettre stratégiquement en question le statu quo et à contribuer à la construction d’un ordre politique alternatif. Tout en explorant le potentiel des stratégies d’engagement pour remettre en question une politique consensuelle, cet article vise à offrir des idées précieuses sur la dimension contestataire du monde de l’art et sa capacité à contribuer à la construction de communautés beaucoup plus démocratiques.

 

Pierre Bourdieu a écrit que ‘l’existence, la forme et la direction du changement dépendent non seulement de “l’état du système”, c’est-à-dire du “répertoire” des possibilités qu’il offre, mais aussi de l’équilibre des forces entre les agents sociaux qui ont des intérêts tout à fait réels dans les différentes possibilités qui leur sont offertes et qui déploient toutes sortes de stratégies pour faire prévaloir un ensemble ou un autre’ (Bourdieu 1983: 315). Une vision de la relation entre le monde de l’art et la politique à travers des stratégies d’engagement permettra d’élargir la position de Bourdieu. Elle mettra l’accent sur le fait qu’une alternative de vivre ensemble dans les sociétés multiculturelles ne dépend pas seulement de la capacité de groupes isolés ou ‘d’agents sociaux’, mais aussi de la disposition existante des institutions, des pratiques et des cadres symboliques, ainsi que des forces dynamiques stratégiquement investies en leur sein et entre elles. Au fur et à mesure que le texte se déploie, il deviendra évident que les stratégies d’évitement ou du retrait impliquent le potentiel d’une communauté auto-organisée, tandis que les stratégies de rupture suggèrent une communauté autogérée. D’autre part, les stratégies d’engagement proposent la formation d’une communauté par le biais d’une implication active avec les institutions existantes, en les remettant en question et en les remodelant de l’intérieur. De telles stratégies reconnaissent le rôle crucial des institutions dans la formation de la société. Étant donné que la politique hégémonique utilise souvent les institutions pour réguler les identités, les relations et les pratiques de manière spécifique, cet article suggérera comment leur transformation nécessite un engagement stratégique à différents niveaux, là où la politique hégémonique opère.

Belgique: le cas de la KVS

La Belgique moderne a été fondée en 1830, intégrant deux communautés linguistiques: la communauté néerlandophone dans la partie septentrionale de la Belgique, la Flandre, qui utilise différents dialectes régionaux, et la communauté francophone dans la région méridionale, la Wallonie, qui parle des langues romanes distinctes. Le nouveau gouvernement, composé de l’élite économique, politique et culturelle urbaine francophone, a décrété que le français serait la seule langue officielle du pays, malgré le fait que le néerlandais était parlé par la majorité de la population belge, y compris la capitale, Bruxelles.[i] La communauté néerlandophone a réagi immédiatement à une telle discrimination culturelle. Les intellectuels et artistes flamands ont été les premiers à réclamer la reconnaissance de la langue néerlandaise et de la culture flamande, ainsi que le statut légal de la communauté flamande en Belgique. Avec le temps, ce qui a commencé comme un mouvement contre la discrimination culturelle s’est transformé en un mouvement populaire plus large connu sous le nom de Vlaamse Beweging (Mouvement flamand, ndt). Ce Mouvement flamand a uni différentes initiatives dans une lutte pour une plus grande autonomie culturelle, économique et politique de la communauté néerlandophone. Son influence s’est également fait sentir à Bruxelles. Par exemple, lorsque Charles Buls, un adepte du Mouvement flamand, est devenu maire de Bruxelles en 1881, la situation des habitants néerlandophones de la ville a changé. Buls a lancé différentes initiatives visant à une plus grande reconnaissance de la population flamande, telles que l’obligation pour tous les policiers de Bruxelles d’être bilingues et l’affichage de toutes les signalisations dans toute la ville en français et en néerlandais.

 

La même année où Buls devint maire de la capitale belge, il se consacra au développement du premier théâtre permanent pour la communauté néerlandophone de Bruxelles. Buls fit appel à l’architecte Jean Baes pour rénover l’ancien bâtiment d’armurerie situé sur la rue de Laeken à Bruxelles et le transformer en un théâtre. Six ans plus tard, le 13 octobre 1887, le De Vlaamsche Schouwburg (Théâtre flamand) ouvrit ses portes (https://www.kvs.be/en/ pQv1QfV/our­house/history). La cérémonie d’ouverture fut présidée par le maire Buls et le roi Léopold II de Belgique. Lors de son discours, Buls s’adressa au roi avec les mots suivants: ‘J’aurai l’honneur, Sire, de vous souhaiter la bienvenue en flamand, dans ce temple érigé pour l’art dramatique flamand’ (Ibid.). Le roi Léopold II répondit à l’adresse de Buls en disant: ‘Mon cher bourgmestre, vous me donnez là une excellente occasion de vous répondre dans cette même langue nationale, en flamand’ (Ibid.), puis il continua son discours en néerlandais. C’était la première fois qu’un monarque belge s’exprimait en néerlandais en public (Fredericq 190609:2020221), reconnaissant symboliquement l’égalité entre les deux communautés linguistiques de Belgique. En 1894, ce geste fut officiellement reconnu lorsque le De Vlaamsche Schouwburg reçut un nouveau nom, le Koninklijk Vlaams Theater KVS (Théâtre royal flamand).

 

Il convient de mentionner qu’à Berlin, lors de la Conférence de 1884-­1885, deux ans avant l’ouverture du KVS, certains pays européens et les États Unis reconnurent le roi Léopold II de Belgique comme souverain de la région du Congo en Afrique. À la suite de la Conférence, le 5 février 1885, Léopold II créa l’État indépendant du Congo, également connu sous le nom d’État indépendant du Congo, sous le prétexte d’une œuvre humanitaire et philanthropique.[ii] Au milieu des mouvements anti esclavagistes en Europe et aux États Unis, le geste de Léopold II a été perçu comme une promesse de ‘l’éternelle fondation de la Vérité, de la Liberté, de l’Humanité et de la Justice’ pour le continent africain (Williams 1890). Cependant, le voyage du colonel américain George Washington Williams au Congo en 1890 révéla tout le contraire. Dans sa Lettre ouverte à Léopold II, imprimée sous la forme d’une brochure et distribuée dans toute l’Europe et aux États ­Unis la même année (Hochschild 2006: 112), Williams décrivit le niveau choquant des conditions inhumaines qu’il avait constatées au Congo, telles que la famine, les mauvais traitements physiques, les mutilations physiques, la torture et les massacres de la population congolaise (Williams, Ibid.). Les années suivantes, de plus en plus de preuves sur des atrocités similaires furent révélées. Des estimations approximatives suggèrent que, pendant les 23 années de règne de Léopold, environ dix millions d’Africains furent tués directement ou indirectement dans l’État indépendant du Congo. En conséquence, le gouvernement belge fut soumis à des pressions diplomatiques pour prendre le contrôle du Congo et mettre fin à l’autorité impitoyable de Léopold II. Le Parlement fédéral belge annexa le Congo en tant que colonie de la Belgique en 1908, le gouvernant officiellement, le dominant et l’exploitant jusqu’en 1959.

 

On peut dire que l’histoire de la Belgique a été marquée par ces deux types de discrimination: une discrimination culturelle interne basée sur des différences de langue et une discrimination biologique externe basée sur des traits physiques. Ces facteurs de racialisation ont joué un rôle important dans la vision artistique du Théâtre royal flamand (KVS) à Bruxelles à la fin du XXe siècle. Jan Goossens, qui a été directeur artistique du KVS de 1999 à 2016 (https://www.kvs.be/en/ pQv1QfV/our­house/history), a adopté une approche critique des divisions culturelles, économiques et politiques entre les différentes communautés en Belgique. Il s’est concentré sur l’environnement multiculturel de Bruxelles et a consacré une partie du programme du KVS à l’exploration du passé colonial de la Belgique, un sujet souvent négligé dans les systèmes éducatifs, politiques et culturels actuels de la Belgique. Lorsque le KVS a déménagé dans un nouveau bâtiment au centre de Bruxelles en 2004, connu sous le nom de KVS BOX (Ibid.), le café du théâtre a été baptisé Cafe Congo, en tant que souvenir du passé colonial belge. Avec la nomination de Michael De Cock en tant que directeur artistique en 2016, le KVS a continué à explorer des approches critiques de l’histoire belge et des questions sur la vie dans des environnements multiculturels qui intègrent différentes cultures. Ces efforts, de ‘le seul théâtre […] de et pour tous les Belges’ (Peeters 2008: 117), ont été amplifiés à travers les programmes, les productions et les collaborations théâtrales, y compris la collaboration avec le Théâtre National de langue française à Bruxelles.

 

Une approche critique de l’histoire belge à travers la programmation du KVS offre une perspective alternative sur la gestion des institutions. Elle démontre que les institutions culturelles peuvent jouer un rôle important dans la transformation des schémas culturels dominants, en inspirant de nouvelles significations, en produisant des connaissances différentes et en favorisant des valeurs éthico-politiques alternatives. Elle montre que le rôle d’une institution artistique est de contester les codes de représentation (ou ‘spectatoriels’) sédimentés et de permettre au public de voir les choses différemment, d’imaginer des réalités alternatives et de construire un ordre politique différent. C’est ainsi que les institutions artistiques peuvent mobiliser des états affectifs alternatifs qui peuvent contribuer à créer des liens différents entre les personnes dans les sociétés multiculturelles. La question qui se pose est la suivante: comment pouvons­nous envisager des stratégies par lesquelles le monde de l’art peut contribuer à la création d’une société démocratique dans laquelle les différentes communautés ne vivent pas simplement côte à côte, mais plutôt en relation les unes avec les autres, au­delà des discriminations basées sur la couleur, la langue, le nom, la religion, la race, le sexe ou le genre ? En d’autres termes, comment pouvons-­nous appréhender la dimension politique des pratiques artistiques et, par extension, des institutions artistiques ?

 

Pour répondre à cette question, j’exposerai la théorie politique d’Ernesto Laclau et Chantal Mouffe. Leur théorie offre une perspective unique sur la société en termes de discours, d’hégémonie et d’antagonisme. Selon eux, la société est intrinsèquement conflictuelle et les conflits ne peuvent être éliminés. Cependant, Laclau et Mouffe soutiennent que les conflits peuvent prendre différentes formes et, ce faisant, ils peuvent se transformer en forces productives pour le changement social. En reconnaissant l’importance du conflit et en admettant qu’il ne peut être éliminé, la théorie de Laclau et Mouffe offre un point de départ utile pour envisager des stratégies par lesquelles les institutions artistiques peuvent contribuer à la création de sociétés plus démocratiques et inclusives. Dans les deux sections suivantes, je résumerai leur pensée politico philosophique plutôt riche, cohérente et inspirante, afin de formuler la dimension politique contestataire du monde de l’art.

La théorie du discours

La théorie du discours est une théorie développée par Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, deux penseurs politico philosophiques post-fondamentalistes qui rejettent les croyances marxistes traditionnelles. Dans leur œuvre phare, Hegemony and Socialist Strategy (1985) (Hégémonie et stratégie socialiste en français), ils soutiennent que les choses ont une essence, mais que cette essence ne peut être saisie que par le discours. La construction discursive de l’essence est une pratique sociale de production de sens qui engendre et reproduit le monde des objets, des événements et des relations. Les figures métaphysiques classiques de la fondation, telles que le fondement, l’universalité et la totalité, supposent qu’il existe un sens fixe et stable qui peut être ancré dans une source essentielle. Ce que suggère le fondationalisme, c’est que la signification est statique et objective, plutôt que le résultat d’un processus social de construction continu et contingent. Laclau et Mouffe nous invitent à remettre en question ces figures métaphysiques classiques de la fondation. Mais, contrairement aux anti fondationalistes, ils ne prônent pas un retrait complet de ces figures. Au contraire, ils suggèrent la nécessité de s’engager avec elles. Parce que ces figures sont construites, Laclau et Mouffe proposent qu’elles puissent être déconstruites de l’intérieur, par le biais d’un engagement stratégique. Cet engagement permet de remettre en question, de déconstruire et de réimaginer toute construction sociale, y compris les identités, les objets et les relations. Ainsi, Laclau et Mouffe montrent que chaque construction sociale est contingente et instable, ce qui signifie qu’elle peut être remise en question, contestée et réarticulée autrement. On peut donc conclure que le post fondationnalisme se caractérise par une tension entre les tentatives de fondation et l’échec inévitable de ces efforts (Marchart 2007). Cette tension inévitable entre ces alternatives reconnaît le conflit comme inhérent à la société. Elle établit l’objectif principal des post fondationalistes : remettre en question les conceptualisations des paradigmes ontologiques qui visent à maintenir le statu quo social et politique en rendant les différences entre les alternatives ou les choix sans importance. Précisément en valorisant l’importance de la différence et en reconnaissant la possibilité de choix entre des positions qui coexistent dans la tension, le post fondationnalisme fournit un cadre de réflexion sur la manière dont un ordre social et politique alternatif peut être établi au travers de positions conflictuelles.

 

La critique de l’essentialisme par Laclau et Mouffe découle de la théorie du discours. Du point de vue de la théorie du discours, les choses ont une existence, mais elles ne révèlent leur essence qu’à travers le discours. La construction discursive de l’essence des choses, de ce que nous appelons l’être, rend possible l’essence la plus essentielle d’une chose. Par extension, chaque configuration sociale, y compris les identités, les objets et les relations, est discursivement construite; elle est façonnée par les langues, les actions et les institutions avec lesquelles la langue est liée. En d’autres termes, chaque configuration sociale est significative et construite symboliquement au sein des ‘institutions, rituels et pratiques par lesquels une formation discursive est structurée’ (Laclau et Mouffe 2001: 109). Cela signifie que le langage que nous utilisons lorsque nous discutons de questions spécifiques est façonné par des facteurs politiques, économiques et culturels. Pareillement, ces facteurs façonnent notre perception et notre compréhension de la réalité. Dès lors, le discours englobe un système de relations linguistiques et extralinguistiques au sein duquel la signification est formée.

 

Laclau et Mouffe suggèrent que la signification est étroitement liée aux relations de pouvoir. S’appuyant sur Wittgenstein, ils expliquent que le discours est un ensemble d’entités différentielles matérialisées par le biais de ‘jeux de langage’ [iii]. Les jeux de langage relient une entité à une autre et s’efforcent d’atteindre la totalité, la domination et le pouvoir sur le ‘champ de la discursivité’ . La totalité discursive est une unité concrète qui nécessite une surdétermination, qui est une unification symbolique de positions autrement conflictuelles. Néanmoins, la totalité discursive ne peut ‘exister [que] comme une limitation partielle d’un “surplus de signification”’ (Laclau et Mouffe 2001: 111). Cela souligne que toute unité sociale, ou toute représentation, est construite en relation avec une sorte surplus ou d’extériorité qui pose une menace à la totalité discursive. Par conséquent, aucun principe unique, aucune ‘détermination en dernière instance’ pour définir la société en termes de totalité, comme la classe ou la logique de production, ne peut fixer l’ensemble du champ des entités différentielles. Une telle ‘fixation’ de la totalité n’est que le résultat d’une limitation instable, partielle et contingente enfermée dans ce que Laclau et Mouffe appellent des points nodaux [iv].

 

Les points nodaux servent à limiter la signification de certaines constructions discursives. Ce processus de limitation met en évidence le fait que toutes les constructions sociales sont basées sur le principe de l’exclusion. Par exemple, les identités de ‘travailleurs’ , de ‘femmes’ ou de ‘noirs’ deviennent symboliquement inférieures et exclues dans divers discours, selon qu’ils privilégient la classe, le genre, la race ou la religion. De même, le ‘troisième genre’ est symboliquement subordonné au discours eurocentrique (colonial) dominant, qui soutient un paradigme sexuel binaire où les identités ne sont classées que comme masculines ou féminines [v]. En essence, les points nodaux reflètent la domination culturelle, politique et sociale d’un groupe sur les autres. Ce sont les moyens par lesquels un groupe particulier acquiert et conserve le pouvoir sur les autres, en façonnant les pensées, le langage et la perception de la réalité sociale à travers des processus de symbolisation.

 

Cependant, c’est précisément par la révélation des différences que les points nodaux surdéterminés offrent une opportunité aux groupes sociaux exclus de redéfinir, c’est-à-dire de réarticuler les termes de la légitimité symbolique. Les groupes exclus constituent toujours une menace pour déstabiliser les limites construites par un ordre social dominant et permettent des ruptures au sein du tissu social de la totalité. En remettant en question les identités existantes, les valeurs éthico-politiques et les relations, les groupes subordonnés peuvent contester l’ordre social dominant en s’engageant avec celui-ci. Cette perspective reconnaît que la relation entre l’ordre symbolique et son surplus, entre l’intériorité et l’extériorité, ou entre ce qui est inclus et ce qui est exclu, n’implique pas le retrait d’un ordre dominant (Hard & Negri), ni seulement des ruptures et des conflits produits en son sein (Rancière). Au contraire, elle implique un engagement avec celui-ci, redessinant ainsi les limites entre l’ordre dominant et son surplus. Ces limites ne peuvent pas être surmontées; elles ne peuvent que s’étendre au détriment d’autres configurations et symbolisations possibles (Laclau et Mouffe 1985). C’est pourquoi l’approche discursive de la construction de la société de Mouffe et Laclau implique une politique qui, en établissant des limites, reconnaît l’antagonisme et l’hégémonie comme inhérents à la société.

Discours, art et institutions

Le projet agonistique de la politique démocratique reconnaît les relations inextricables entre l’art et la politique. Dans Agonistics, Mouffe écrit :

Je ne vois pas l’art et la politique comme deux domaines séparément constitués, l’art d’un côté et la politique de l’autre, et qui nécessitent d’être mis en relation. Il y a une dimension esthétique dans le politique et il y a une dimension politique dans l’art. C’est pourquoi je considère qu’il n’est pas utile de faire une distinction entre l’art politique et l’art non politique. Du point de vue de la théorie de l’hégémonie, les pratiques artistiques jouent un rôle dans la constitution et le maintien d’un ordre symbolique donné, ou dans sa remise en question, et c’est pourquoi elles ont nécessairement une dimension politique (Mouffe 2013 : 25).

Même si la frontière entre art et publicité s’estompe peu à peu dans le capitalisme tardif, neutralisant par là le rôle critique ou contestataire des pratiques artistiques, Mouffe estime qu’elles peuvent encore créer des espaces de résistance qui peuvent miner la production capitaliste et contribuer à créer de nouvelles formes de subjectivité. L’opération de remise en question de l’ordre symbolique établi implique une lutte contre hégémonique contre les discours dominants appropriés par une politique hégémonique. Elle rend visible ce que j’appellerai la dimension politique contestataire des pratiques artistiques, qui s’oppose à la dimension politique de l’art qui se limite à soutenir le discours dominant, la politique, les pratiques sociales sédimentées et les représentations figées qui sont symboliquement ancrées dans les institutions.

 

Pour mieux comprendre cette idée, examinons brièvement le lien entre l’art et le discours. Approfondissant une perspective selon laquelle la signification de tout objet est le résultat d’un relationnalisme radical des choses (Marx), et que la réalité est construite à travers le jeu de langage composé de la langue et des actions dans lesquelles la langue est tissée (Wittgenstein), Laclau et Mouffe définissent une configuration discursive en termes de séquences relationnelles entre les phénomènes linguistiques et extralinguistiques. Comme souligné précédemment, cette perspective exige de comprendre le discours non pas comme une simple représentation du social englobant uniquement les pratiques de parole, d’écriture et de communication, mais comme quelque chose de constitutif du social qui englobe toutes les dimensions de la réalité sociale, y compris les institutions dans lesquelles la langue et les pratiques sociales sont inscrites et les significations structurées. Affirmer que chaque pratique artistique est discursivement construite revient donc à souligner le caractère matériel de toute production artistique. En d’autres termes, il s’agit de reconnaître le caractère relationnel, historique, symbolique et contingent de l’art.

 

Pour clarifier ce point, prenons l’exemple de la performance artistique. Une action ou un mouvement quotidien est considéré comme une performance artistique lorsqu’il est intégré dans la structure des relations qui le catégorisent en tant que pratique de performance artistique. Le caractère matériel de la performance artistique révèle un discours spécifique entourant une série d’actions exécutées qui reposent sur des mouvements corporels associés à différentes pratiques sociales. Par exemple, se brosser les dents devient une performance artistique lorsqu’il est exécuté par Allan Kaprow dans sa propre salle de bains pendant les années 1950 et déclaré comme une œuvre d’art. Dans les années 1960 et 1970, la chorégraphie de Yvonne Rainer a transformé des activités ordinaires, telles que les mouvements des piétons, les acrobaties et les ‘marches ouvrières’ , en performance, mettant l’accent sur le fait que nos vies quotidiennes sont structurées, encadrées et chorégraphiées. En élargissant cette perspective, Rosas Danst Rosas (1983), chorégraphié par Anne Teresa De Keersmaeker, relie une séquence de gestes quotidiens, tels que s’appuyer la tête sur la main, passer les doigts dans les cheveux et dénuder et couvrir les épaules, dans un système de mouvement mécanique. Monument 0.4: Lores & Praxes (Rituals of Transformation) (2017) d’Eszter Salamon utilise des mouvements de combat, de résistance et rituels des zones de conflit en Asie, en Afrique, en Amérique du Sud et au Moyen­-Orient comme éléments chorégraphiques centraux, tout en travaillant souvent avec des ‘performeurs’ de ces régions. De même, la performance Jezebel (2019) de Cherish Menzo utilise comme partition chorégraphique la danse des ‘video vixens’, des femmes noires réduites à des objets sexuels dans les clips de musique populaire hip hop et rap des années 1990, et du début des années 2000, mettant l’accent sur le rôle institutionnalisé de la culture pop, des médias de masse et du rap en particulier. The Jaguar and the Snake (2019), troisième volume du projet pluriannuel Endangered Human Movements d’Amanda Piña, incarne des êtres à travers la danse, dans lesquels l’animal, l’humain et le végétal se rencontrent, fusionnent et se transforment. En créant un monde imaginaire entre le savoir ancestral indigène et la symbiose de la nature et de la culture, Piña refuse la stigmatisation, l’exclusion et la discrimination des populations indigènes et, plus généralement, de l’altérité culturelle. D’une part, ces exemples montrent que la performance artistique tire sa signification du contexte social, historique et économique dans lequel elle s’inscrit. D’autre part, ces exemples démontrent que la chorégraphie peut s’incarner dans une représentation stable seulement par rapport aux mouvements excédentaires, c’est-à-dire les mouvements et discours qu’elle exclut. Le moment de l’exclusion souligne la décision en tant qu’acte inhérent à la chorégraphie et, plus largement, aux pratiques artistiques.

 

Pour cette raison, l’hégémonie, qui se manifeste précisément au moment de la décision, implique que la signification de toute création artistique est conditionnée par l’ensemble des discours qu’une configuration relationnelle particulière exclut. Par conséquent, chaque œuvre d’art est construite par les limites établies entre son intériorité discursive et son extériorité, ou entre sa ‘totalité’ et son excédent. En ce qui concerne la technique du ballet, par exemple, elle repose sur des méthodes strictes telles que l’alignement, la posture, la pointe des pieds et la rotation externe pour maintenir la maîtrise physique sur les corps des danseurs, ce qui exclut tout autre mouvement lié aux pratiques sociales en dehors du ballet, tels que la danse de rue, les sports, les jeux, les marches de protestation et les actions immobiles. De même, l’acte immobile dans les performances repose sur l’exclusion des mouvements ininterrompus et abstraits du ballet et de la danse moderne de la chorégraphie. En revanche, lorsque des mouvements de violation, d’intimidation et d’antagonisme servent de système de chorégraphie, tous les aspects agonistiques des mouvements sociaux sont exclus. Ces exemples illustrent que la chorégraphie ne peut s’incarner dans une représentation stable qu’en relation avec les mouvements excédentaires qu’elle exclut.

Les pratiques contre-­discursives

Le processus de prise de décision impliquant un moment d’exclusion est également la force motrice derrière la manière dont les institutions façonnent les discours qui conditionnent la signification des créations artistiques. Il existe des institutions telles que les musées, les galeries d’art, les théâtres, les fonds d’art et les départements universitaires dédiés à l’étude de l’art qui visent à ancrer la signification de l’art dans un discours particulier, limitant ainsi sa réalité. Par conséquent, elles peuvent jouer un rôle crucial dans la détermination de ce qui est considéré comme légitime ou précieux dans le monde de l’art et, par extension, ce qui est considéré comme de ‘l’art’ et ce qui ne l’est pas. Chaque œuvre d’art est donc créée au sein d’un champ discursif institutionnel qui en détermine sa signification. Le moment de la décision, que ce soit l’inclusion ou l’exclusion d’une œuvre d’art de ce champ, est l’endroit où les limites de l’objectivité deviennent apparentes et où des tensions, des conflits et des antagonismes peuvent surgir. En ce sens, on peut considérer que le rôle des institutions ne se limite pas à fournir une plate­forme aux pratiques artistiques, mais aussi à façonner activement les discours qui les entourent. C’est ainsi que les institutions contribuent à la création d’un ordre particulier, avec ses propres valeurs, hiérarchies et perspectives.

 

Prenons l’exemple de la discipline universitaire de l’histoire de l’art comme institution. L’histoire de l’art est un système structuré et organisé de production et de diffusion des connaissances qui fonctionne dans le cadre d’ensembles institutionnels. Elle possède ses propres méthodologies, théories et langage qui sont continuellement produits, reproduits et transmis par le biais de divers canaux de communication institutionnalisés, tels que les publications universitaires, les conférences et les programmes d’études. On peut soutenir qu’une perspective eurocentrique en histoire de l’art exclut de nombreux points de vue alternatifs géopolitiques, historiques, culturels et symboliques. L’exclusion de discours alternatifs dans l’histoire de l’art eurocentrique n’est pas simplement une question de vision étroite de l’histoire et de la culture, mais résulte de relations hégémoniques, de dynamiques de pouvoir et de hiérarchies. Le canon de l’histoire de l’art a traditionnellement été centré sur les œuvres d’artistes blancs, masculins et européens, en ignorant ou marginalisant les contributions d’artistes d’autres origines. Cette approche d’exclusion a perpétué une compréhension incomplète du développement de l’art, renforçant la domination de certaines valeurs culturelles.

 

Malgré le fait que le discours de l’histoire de l’art eurocentrique ait tendance à exclure, marginaliser et ignorer les pratiques artistiques qui ne sont pas conformes à ses valeurs, hiérarchies et perspectives, ces mêmes pratiques ont le potentiel de contester l’autorité des institutions par un engagement stratégique. Comme l’a observé Bourdieu (1983), le conflit est inhérent au domaine de l’art, et ces pratiques en sont conscientes. En élargissant notre perspective, au-delà de la portée étroite de l’histoire de l’art eurocentrique, et en prenant en compte des perspectives et des discours non européens, nous pouvons commencer à remettre en question et à contester les frontières et les limites établies de la discipline. Cela peut être clairement observé à travers East Art Map: Contemporary Art and Eastern Europe (2000-­2006). East Art Map est un projet pluriannuel coordonné par le groupe artistique slovène IRWIN, représenté par Dušan Mandić, Miran Mohar, Andrej Savski, Roman Uranjek et Borut Vogelnik. IRWIN a tenté de reconstruire l’histoire manquante de l’art contemporain en y intégrant un certain nombre d’œuvres d’Europe de l’Est produites entre 1945 et 2000, qui ont été exclues de l’histoire de l’art ‘officielle’ . De manière différente, une autre institution, le Théâtre royal flamand (KVS) à Bruxelles, que j’ai mentionné au début de cet article, tente de reconstruire l’histoire belge en mettant l’accent sur le passé colonial belge qui a largement été exclu des systèmes éducatifs, politiques et culturels de la Belgique. En consacrant une part importante de son programme à ce sujet, le KVS tente d’intégrer cette histoire dans le discours officiel en mettant en évidence des voix, des faits et des perspectives qui ont été ignorés, marginalisés ou négligés. La tâche de confronter les vérités inconfortables du passé du pays peut être considérée comme une forme d’activisme institutionnel et une tentative de remodeler les discours qui dominent l’histoire belge et son époque contemporaine. Un exemple concret de cela peut être observé dans l’opéra Macbeth (2014), un effort de collaboration entre le dramaturge sud­africain Brett Bailey et le compositeur belge Fabrizio Cassol, qui a été mis en scène au KVS en 2016. L’opéra, situé dans les provinces orientales de la République démocratique du Congo (RDC), confronte l’histoire coloniale belge et les conflits ethniques et militaires ultérieurs qui continuent de sévir dans la région, alimentés par la cupidité des sociétés multinationales contemporaines pour les ressources naturelles et la corruption des gouvernements régionaux et des responsables militaires.

 

Le KVS et East Art Map ont pertinemment observé que l’histoire ne peut pas être considérée comme un récit singulier, déterminé et institutionnalisé, mais plutôt comme une interaction complexe de multiples éléments discursifs, langages, pratiques et institutions, qui coexistent dans la tension, le conflit ou l’agonisme. Ces éléments discursifs ne sont pas simplement façonnés par le pouvoir et les relations hégémoniques, mais continuent également de les façonner. Et tandis que le KVS s’efforce de contester les cadres institutionnels, les réglementations et les politiques qui façonnent la conduite politique des individus et des groupes dans la société belge au fil des ans, East Art Map s’efforce de contester les structures, les méthodes, les conventions et les canons de connaissance institutionnalisés qui sont historiquement sédimentés dans la discipline de l’histoire de l’art. Nous avons maintenant tous les éléments nécessaires pour envisager les pratiques artistiques par rapport à la distinction de Mouffe entre la politique et le politique.

La dimension contestataire du monde de l’art

Comme indiqué précédemment, ‘la politique’ désigne un ensemble de pratiques et d’institutions par lesquelles un ordre est créé, organisant la coexistence humaine dans le contexte de conflictualité fourni par le politique (Mouffe 2005: 9). La politique relève du niveau ontique qui concerne les ‘multiples pratiques de la politique conventionnelle’. Par ‘le politique’, Mouffe écrit, ‘j’entends la dimension de l’antagonisme que je considère comme constitutive des sociétés humaines’ (9). Le politique est placé au niveau ontologique qui concerne ‘la manière même dont la société est instituée’. Vu à travers le prisme de ‘la politique’ , l’art est une pratique sociale qui se conforme aux discours établis qui font partie de la politique dominante et conventionnelle régulant les relations humaines, les processus de prise de décision et les pratiques. Il contribue à la création d’un ordre en façonnant les perceptions, les récits et les perspectives sur les questions sociales, politiques et culturelles. D’autre part, la relation entre l’art et le ‘politique’ va au-delà des compréhensions conventionnelles de la politique et englobe la dimension de l’antagonisme inhérente aux sociétés humaines. De ce point de vue, l’art a un potentiel radical pour contester une politique dominante, ce qui en fait un outil essentiel pour favoriser la pensée critique, permettre le changement social et contribuer à l’établissement d’un nouvel ordre politique.

 

Cette perspective sur les pratiques artistiques illustre que l’art possède toujours une dimension politique (Mouffe). Alors que certains arts révèlent leur dimension politique en se conformant à une politique dominante, d’autres arts révèlent leur dimension politique en contestant une structure hégémonique. Ce que j’appelle les pratiques artistiques conformistes indique la possibilité pour l’art de mobiliser des affects qui reproduisent un ordre politique dominant. Par extension, les institutions artistiques peuvent jouer un rôle important dans ces processus. Elles sont façonnées par des forces politiques, économiques et culturelles dominantes, ainsi que par les intérêts des collectionneurs, des conservateurs, des programmateurs et des décideurs politiques. Ces forces ont un impact significatif sur le type d’art produit, sur la façon dont il est interprété par les critiques d’art et compris par les publics. Les choix effectués par les curateurs, les programmateurs de théâtre et les collectionneurs d’art en ce qui concerne les artistes et les œuvres à exposer, promouvoir et collectionner peuvent renforcer certains discours politiques, culturels et éducatifs tout en marginalisant d’autres. De plus, les institutions artistiques s’appuient souvent sur le financement de sociétés, de donateurs fortunés et d’organismes gouvernementaux qui peuvent influencer le contenu et l’orientation de leur programmation. Le cas de la famille Sackler illustre ce point. La famille Sackler a fait une grande partie de sa fortune grâce à la vente d’OxyContin, un analgésique sur ordonnance impliqué dans l’épidémie d’opioïdes aux États Unis. Les Sackler sont également connus pour leurs dons à des institutions culturelles, notamment des musées, des galeries et des universités, dans le monde entier. Ils ont donné des millions de dollars pour soutenir les arts, notamment le Metropolitan Museum of Art de New York, le Victoria and Albert Museum de Londres et le Louvre à Paris. Il sera moins probable pour ces institutions de présenter des œuvres d’art critiques à l’égard de leur pouvoir économique ou mettant en évidence les abus des droits de l’homme commis par ces entreprises et entreprises similaires.

 

En revanche, ce que j’appelle les pratiques artistiques contestataires désigne la possibilité pour l’art de mobiliser des affects qui donnent naissance à un ordre politique alternatif. Les institutions artistiques peuvent également contester une politique dominante par le biais de leurs pratiques curatoriales, en présentant des œuvres d’artistes offrant des perspectives alternatives sur les relations humaines, les discours politiques ou les économies. En promouvant des œuvres qui critiquent les structures de pouvoir établies, les institutions artistiques peuvent proposer un récit contre ­hégémonique à la politique dominante. Les pratiques artistiques contestataires peuvent se manifester au travers d’institutions artistiques qui recherchent activement et soutiennent des artistes issus de communautés marginalisées, en promouvant des voix et des perspectives diverses. Par exemple, lorsque la philanthropie des Sackler a été examinée ces dernières années en raison de leur rôle dans la crise des opioïdes, certaines institutions ont décidé de prendre leurs distances par rapport à la famille et de refuser leurs dons. Le film de Laura Pitres, All the Beauty and the Bloodshed (2022), qui dépeint la vie de l’artiste et militante Nan Goldin, met en lumière le combat de Goldin contre la famille Sackler. L’activisme de Goldin a commencé après qu’elle soit devenue dépendante de l’OxyContin. Elle a depuis lancé une campagne pour tenir les Sackler responsables de leur rôle dans l’épidémie d’opioïdes aux États­ Unis et a utilisé son art pour sensibiliser à cette question. Son activisme a conduit plusieurs musées à retirer le nom Sackler de leurs bâtiments ou galeries.

 

Les institutions artistiques peuvent également contester une politique dominante en organisant des expositions, des conférences et des ateliers explorant des questions de justice sociale, de droits de l’homme et de durabilité environnementale, ou en accueillant des artistes en résidence appartenant à des groupes précaires ou en collaborant avec des communautés locales. En convoquant des problématiques sociales importantes, les institutions artistiques peuvent encourager la pensée critique et offrir des perspectives alternatives sur la politique et les modes de vie ensemble dans une société multiculturelle. L’exemple du KVS met en valeur les efforts d’un théâtre pour confronter l’histoire coloniale, un sujet souvent négligé dans le cadre politique, éducatif et culturel actuel de la Belgique. Grâce à cet engagement, le KVS a cherché à sensibiliser l’opinion publique à propos du passé de la Belgique. Mais il ne faut pas sous-­estimer les pratiques institutionnelles telles que les politiques d’embauche et de financement. En recherchant et en soutenant des perspectives diverses parmi leur personnel et dans leurs décisions de financement, les institutions artistiques peuvent remettre en question l’homogénéité des discours culturels, sociaux et politiques dominants.

 

On peut conclure que les pratiques artistiques contestataires jouent un rôle crucial dans la remise en question des institutions qui affirment une représentation particulière de la réalité. Une fois que nous avons reconnu que chaque phénomène est construit en tant qu’objet de connaissance et que la connaissance est toujours un instrument de pouvoir maintenu par le biais d’institutions, comme l’affirme le philosophe Michel Foucault (Foucault 1982), nous pouvons envisager l’art comme une pratique qui conteste l’épistémè ‘spectatorielle’ hégémonique. En reconnaissant que chaque sujet et chaque objet est construit discursivement et régulé par une politique hégémonique qui a le pouvoir sur les institutions, nous prenons conscience de la façon dont nos expériences perceptuelles sont façonnées par l’exercice du pouvoir au sein de ce que Foucault désigne comme un appareil institutionnel ou dispositif ‘un ensemble résolument hétérogène, comportant des discours, des institutions, des aménagements architecturaux, des décisions réglementaires, des lois, des mesures administratives, des énoncés scientifiques, des propositions philosophiques, morales, philanthropiques’ (Foucault 1980: 25). Les pratiques artistiques contestataires permettent le moment de contester les codes spectatoriels sédimentés.

 

En fin de compte, il convient néanmoins de souligner que tout geste contre­ hégémonique ou contestataire peut lui­-même être forgé par une politique hégémonique. L’avant­-garde en est un excellent exemple. En prônant une rupture totale avec l’art bourgeois qui séparait l’art de la praxis de la vie et qui concevait à la fois la production et la réception de l’art comme des actes individuels (Bürger 2004), l’avant-­garde s’est opposée non seulement à un système de représentation dominant, mais aussi aux institutions établies. Cependant, en se positionnant en opposition à la fois à l’art bourgeois et aux institutions bourgeoises, l’avant­-garde n’a pas pu s’engager avec le discours dominant, les normes de représentation et les politiques, l’empêchant ainsi d’intervenir efficacement dans le domaine de l’art. Il est encore plus important de considérer comment l’opposition à l’ordre dominant a facilité l’incorporation de l’appel de l’avant­-garde à un commencement absolu dans le système hégémonique du capital. C’est ainsi que la modernité a abstrait l’art avant-­gardiste et lui a ôté la possibilité d’intervenir dans les normes de représentation existantes, et donc d’articuler des normes différentes. Comme l’écrit avec justesse le linguiste Peter Bürger: ‘à présent que la protestation de l’avant­-garde historique contre l’art en tant qu’institution est acceptée comme art, le geste de protestation de la néo-­avant-garde devient frelaté’ (Bürger 2004: 46).

 

À cet égard, il est essentiel de reconnaître que la dimension politique contestataire de l’art doit être perçue comme une pratique capable de remettre en question de manière persistante les discours cooptés par la politique hégémonique grâce à un engagement stratégique avec ceux-ci. C’est pourquoi les pratiques artistiques contre hégémoniques placent l’artiste en tant qu’acteur actif dans la lutte contre les discours institutionnalisés, la politique hégémonique et les représentations conventionnelles. En s’engageant stratégiquement avec les institutions existantes, l’artiste peut contester les codes spectatoriels ancrés dans le discours dominant et permettre au public de voir les choses différemment, d’imaginer des réalités alternatives et de construire un ordre politique différent. C’est grâce à l’engagement face aux défis sociaux, politiques, économiques et culturels en cours que les artistes peuvent mobiliser des états affectifs alternatifs parmi le public, ce qui peut contribuer à créer des liens différents entre les personnes dans les sociétés multiculturelles.

Stratégies d’engagement

Au début de ce texte, j’ai établi comme tâche d’explorer les moyens par lesquels les artistes et les institutions artistiques peuvent contribuer à la construction de sociétés démocratiques, dans lesquelles différentes communautés ne vivent pas simplement côte à côte, mais plutôt en relation les unes avec les autres, avec toutes leurs différences, qu’elles soient fondées sur la langue, le nom et la religion, ou sur la race, le sexe ou le genre. En d’autres termes, je me suis demandé comment le monde de l’art peut contribuer à la construction de formes alternatives de subjectivité dans les sociétés multiculturelles. En m’appuyant sur la théorie du discours développée par Laclau et Mouffe, et plus précisément sur la vision de Mouffe de la politique démocratique en termes d’agonisme, j’ai suggéré que le monde de l’art peut y parvenir grâce à des stratégies d’engagement.

 

En parlant de stratégie, le philosophe François Jullien affirme que ‘la stratégie vise, par une série de facteurs, à déterminer les principes fixes selon lesquels on évalue les rapports de force prévalents et on planifie les opérations à l’avance’ (Julien 1995: 31). Cela indique que pour provoquer un changement, il est nécessaire de prendre en compte tous les facteurs d’un contexte spécifique et d’élaborer une stratégie pour les utiliser à son avantage. Cette perspective affirme que le changement ne dépend pas des individus ou des associations humaines isolées, mais plutôt de la ‘disposition des choses’ actuelle, de leur représentation, de leur forme et des forces dynamiques qui opèrent en elles. En mobilisant stratégiquement ou en utilisant ces forces dynamiques, on peut modifier les rapports de pouvoir existants et influencer la direction des événements futurs. Cela implique d’utiliser, ce que Julien appelle, le ‘potentiel né de la disposition’, c’est-à-dire le potentiel inhérent à la disposition actuelle, pour construire une réalité alternative.

 

La mobilisation stratégique des forces dynamiques opérant au sein de la ‘disposition des choses’ se manifeste à la fois en politique et dans l’art. En politique, le déploiement stratégique des langages, des pratiques et des institutions crée des relations hégémoniques particulières qui distinguent le discours dominant de celui qui est dominé, ouvrant la voie à des projets contre ­hégémoniques potentiels. Dans le domaine de l’art, le déploiement stratégique d’éléments audio, visuels, textuels ou corporels crée une représentation particulière qui se conforme ou conteste les représentations symboliques conventionnelles, les pratiques sédimentées et les institutions établies. En fin de compte, la question demeure: comment pouvons-nous déployer stratégiquement le ‘potentiel né de la disposition’ pour construire des modes de vie ensemble bien plus démocratiques ?

 

Dans un premier temps, il faut reconnaître que le processus de production capitaliste joue un rôle important dans la formation des communautés. Pour dépasser une conception de la communauté réduite à une identité de classe, il est important de reconnaître que le processus de production capitaliste ne peut pas être uniquement compris en termes d’apports économiques et de techniques de production visant à extraire la force de travail. Il est important de prendre en compte que le processus de production opère également à travers des techniques de domination, qui cherchent à contrôler les pratiques sociales pouvant contester les forces capitalistes et faire revivre des valeurs éthiques et politiques réprimées. Les techniques de domination peuvent être mises en œuvre à travers différents systèmes de contrôle, de subordination et d’exploitation, y compris les institutions artistiques, les médias de masse, l’éducation, la religion, le droit, les conventions, la bureaucratie, la surveillance et l’économie. C’est par le biais de ces canaux que les techniques de domination maintiennent certains discours au pouvoir et, par exemple, empêchent les groupes marginalisés de former leur volonté, de défendre leurs revendications et de les articuler en droits. Si les techniques de domination néolibérales privilégient l’individualisme par rapport au collectivisme, une identité nativiste monoculturelle par rapport aux processus interculturels d’identification, ou la temporalité par rapport à la spatialité, alors pour créer des subjectivités et des communautés alternatives, au delà du réductionnisme, il est indispensable de confronter les techniques de domination, tout en privilégiant des pratiques collectives qui contestent les discours dominants et défendent des valeurs diverses et inclusives.

 

Cela nécessite de repenser la perspective à partir de laquelle les groupes subordonnés et leurs interactions avec les institutions capitalistes ont traditionnellement été envisagés. Au lieu de résister par le retrait (Hardt et Negri) ou la rupture (Rancière), ces groupes devraient être considérés comme s’engageant activement dans une lutte contre les institutions hégémoniques, les pratiques et les cadres symboliques qui sont dominés par une hégémonie du discours néolibéral. L’objectif est de transformer le mode de capital marchand et de contester la reproduction de l’identité de consommateur maintenue à travers diverses institutions. Grâce aux stratégies d’engagement avec les institutions, des formes alternatives de collectivité ou de communauté peuvent être construites, ouvrant la voie à l’émergence d’économies, de politiques et de valeurs alternatives.

 

Les observations de Laclau, Mouffe et Jullien indiquent que la construction d’une communauté alternative ne repose pas uniquement sur la capacité de groupes isolés, mais plutôt sur la disposition des institutions, des pratiques et des cadres symboliques existants, ainsi que sur les forces dynamiques investies en eux et entre eux. Au lieu de stratégies d’évitement et de rupture, qui suggèrent la possibilité de communautés auto­-organisées ou autogérées, les stratégies d’engagement proposent que la communauté puisse être établie à travers les institutions existantes, en les contestant et en les transformant de l’intérieur. En d’autres termes, en s’engageant de manière stratégique avec la disposition actuelle des choses, on peut modifier les rapports de pouvoir actuels, transformer les institutions et influencer la direction des événements futurs. Les stratégies d’engagement reconnaissent le rôle significatif des institutions dans la construction des individus, et aussi longtemps que la politique hégémonique déploie ces institutions pour réguler les identités et les formes de communauté, un changement en politique nécessitera un engagement stratégique avec elles avant tout autre chose.

 

Par extension, la lutte des groupes démocratiques différenciés et subordonnés contre l’hégémonie du discours néolibéral implique la possibilité de construire une politique contre­ hégémonique qui représente une communauté économique et politique différente de celle promue par le capital, en mettant l’accent sur les valeurs éthico-politiques. Cela implique une identification contre­ hégémonique entre différents groupes, qui concerne le processus d’identification avec des valeurs éthiques et politiques partagées. La construction de la communauté en termes collectifs, relationnels et éthico-politiques ne nécessite pas d’effacer les identités, mais plutôt de les reconnaître, ainsi que leur lutte contre les forces de domination. Mais l’objectif ultime n’est pas la création d’une identité, mais la création d’un environnement dans lequel la pluralité des identités s’identifiera mutuellement.

Stratégies artistiques d’engagement

Les pratiques artistiques sont elles­mêmes des institutions, structurées, spatialisées et mises en scène. En négligeant l’importance de l’engagement, les stratégies d’évitement et de rupture dans l’art, comme le démontre le cas de l’avant-­garde, peuvent involontairement soutenir une politique hégémonique au pouvoir et empêcher l’unité des forces sociales de contester une politique dominante.

 

La dimension politique contestataire de l’art peut être atteinte en favorisant le soutien institutionnel des pratiques artistiques qui créent des œuvres abordant explicitement les questions de pouvoir institutionnel ou mettant en évidence les manières dont les institutions peuvent opérer de manière exclusive ou discriminatoire. Par le biais de leur programmation et de leur curation, les institutions artistiques peuvent soutenir et présenter des œuvres qui remettent en question les discours dominants et promeuvent des visions alternatives de la politique, de l’économie et de la vie ensemble, dans le but de contribuer à la formation d’une société plus démocratique, diversifiée et inclusive. Les institutions artistiques peuvent également créer des espaces de dialogue et d’échange, permettant ainsi la présentation, l’écoute et l’apprentissage de différentes perspectives. En attirant l’attention sur des questions sociales, politiques et économiques importantes, elles peuvent jouer un rôle significatif dans la formation des discours publics. En présentant des œuvres et en créant des espaces de dialogue abordant des sujets tels que les droits de l’homme, la justice sociale, la durabilité environnementale ou la cohabitation dans une société multiculturelle, elles peuvent encourager le public à réfléchir à ses propres croyances et valeurs, et ainsi susciter des discussions qui pourraient passer autrement inaperçues. Ce faisant, elles peuvent favoriser une réflexion critique sur les relations de pouvoir existantes, la contestation, les polémiques robustes et mobiliser les publics pour imaginer et construire des formes alternatives de communauté reflétant une société plurielle, relationnelle et multiculturelle. En d’autres termes, elles peuvent mobiliser différentes formes de désidentification et d’identification parmi les différentes entités [viii].

 

Le rôle des institutions artistiques ne devrait pas se limiter à la présentation d’œuvres d’art et à la création d’espaces de dialogue et de réflexion. Les institutions artistiques ont également la responsabilité de participer activement à la création d’une société plus équitable. Cela peut être réalisé, par exemple, en adoptant des pratiques inclusives, diversifiées et équilibrées sur le plan du genre dans leur gestion, leurs opérations et leur programmation, ainsi qu’en soutenant et en promouvant le travail d’artistes issus de communautés marginalisées, tout en veillant à ce que leur public soit représentatif de la société dans son ensemble.

 

En conclusion, les institutions artistiques peuvent jouer un rôle crucial dans la prévention de l’antagonisme en reconnaissant l’agonisme, la confrontation et la tension comme des aspects inhérents aux sociétés démocratiques. Elles peuvent y parvenir en facilitant des espaces d’échange, en promouvant des œuvres qui remettent en question les récits dominants, en influençant le discours public et en contribuant activement à la création d’espaces publics dynamiques. Les institutions artistiques ont le potentiel d’agir comme des agents de changement influents et, par conséquent, devraient être tenues responsables de leur impact sur les sociétés qu’elles investissent.

Bibliographie

  • Bourdieu, Pierre. (1983). “The World of Cultural Production” . Poetics, 12, 311­356.
  • Bürger, Peter. (2004). Theory of the AvantGarde. (M. Shaw, Trans.). Minneapolis: University of Minnesota. (initialement publié en 1984).
  • Derrida, J. (1992). Force of Law: The ‘Mystical Foundation of Authority’ . In M. Cornell, R. Michel, & D. G. C. David (Eds.), Deconstruction and the Possibility of Justice (pp. 3­67). London and New York: Routledge.
  • Foucault, Michael. (1982). The Archeology of Knowledge: And the Discourse on Language. Vintage.
  • Foucault, Michel. (1980). “‘The Confession of the Flesh’: A conversation with Alain Grosrichard, Gerard Wajeman, Jaques­Alain Miller, Guy Le Gaufey, Dominique Celas, Gerard Miller, Catherine Millot, Jocelyne Livi and Judith Miller. ” In C. Gordon (Ed.), Power/Knowledge, Selected Interviews and Other Writings 1972–1977 (C. Gordon, L. Marshall, J. Mepham, & K. Soper, Trans., pp. 194–228). New York: Pantheon Books.
  • Fredericq, Paul. (1906­1909). Schets eener geschiedenis der Vlaamsche Beweging, Vol. I. Gent: Vuylsteke Hoste.
  • Hardt, Michael, & Negri, Antonio. (2001). The Empire. Cambridge and London: Harvard University Press.
  • Hochschild, Adam. (2012). King Leopold’ s Ghost. London: Pan Books. (initialement publié en 1999).
  • Jullien, François. (1995). The Propensity of Things. New York: Zone Books. (initialement publié en 1992).
  • Laclau, Ernesto, & Mouffe, Chantal. (2001). Hegemony and Socialist Strategy. Towards a Radical Democratic Politics. London and New York: Verso. (initialement publié en 1985).
  • Lugones, Maria. (2016). “The Coloniality of Gender” . In W. Harcourt (Ed.), The Palgrave Handbook of Gender and Development (pp. 13­33). London: Palgrave Macmillan.
  • Marchart, Oliver. (2007). Post­Foundational Thought: Political Difference in Nancy, Lefort, Badiou, & Laclau. Edinburgh: Edinburgh University Press.
  • Mouffe, Chantal. (2013). Agonistics. Thinking the World Politically. London and New York: Verso.
  • Mouffe, Chantal. (2009). The Democratic Paradox. London and New York: Verso.
  • Mouffe, Chantal. (2005). On the Political. London and New York: Routledge.
  • Peeters, Frank. (2008). “Creating and Dismantling the National Theatre in Divided Belgium” . In S. E. Wilmer (Ed.), National Theatres in a Changing Europe (pp. 111119). New York: Palgrave Macmillan.
  • Petrović Lotina, G. (2021). Choreographing Agonism. Politics, Strategies and Performances of the Left. London and New York: Palgrave Macmillan.
  • Petrović Lotina, G., & Aiolfi, T. “Introduction: Performance and Left Populism”. In Petrović Lotina, G., & Aiolfi, T. (Eds.). (2023). Performing Left Populism. Performance, Politics and the People (pp.1­24). London and New York: Bloomsbury.
  • Rancière, Jacques. (2006). The Politics of Aesthetics. (G. Rockhill, Trans.). London and New York: Continuum. (initialement publié en 2000).
  • Schmitt, Carl. (2007). The Concept of the Political. (G. Schwab, Trans.). Chicago: The University of Chicago Press. (initialement publié en 1932).
  • Virno, Paolo. (2004). A Grammar of the Multitude. New York: Semiotext(e).
  • Williams, George Washington. (1890). “An Open Letter to His Serene Majesty Leopold II, King of the Belgians and Sovereign of the Independent State of Congo by Colonel, The Honorable Geo. W. Williams, of the United States of America. ” Accessed 06 March 2023. https://www.blackpast.org/globalafrican­history/primary­documents­globalafrican­history/george­washington­williamsopen­letter­king­leopold­congo­1890/
  • Wittgenstein, Ludwig. (1986). Philosophical Investigations. (G. E. M. Anscombe, Trans.). Oxford: Basil Blackwell. (initialement publié en 1953).
  • Zolber, Aristide R. (1974). “The Makings of Flemings and Walloons: Belgium 1830­194” . The Journal of Interdisciplinary History, 5(2), 179­235.
  • https://www.kvs.be/en/pQv1QfV/our­house/ history

Notes

i Selon le recensement effectué en 1842, 61 % de la population totale de la commune de Bruxelles parlait le néerlandais, tandis que 38 % parlaient le français. Selon le premier recensement national de la Belgique en 1846, 57 % de la population belge parlait le néerlandais ou le flamand, 42,1 % le français ou le wallon, et 0,9 % d’autres langues, principalement l’allemand. Le politologue Aristide Zolberg souligne que le recensement ne prévoyait pas de catégorie pour les personnes multilingues, ce qui a donc “créé une image erronée d’une segmentation en deux groupes linguistiques mutuellement exclusifs” . Zolber, A.R. (1974). The Makings of Flemings and Walloons: Belgium 18301914. The Journal of Interdisciplinary History, 5(2), 179­235.

ii Voir: Hochschild, A. (2012). King Leopold’s Ghost. London: Pan Books.

iii Voir: Wittgenstein, L. (1986). Philosophical Investigations (G. E. M. Anscombe, Trad.). Oxford: Basil Blackwell. (initialement publié en 1953).

iv Laclau et Mouffe critiquent la “détermination en dernière instance par l’économie” d’Althusser qui unifie le social dans l’espace du paradigme rationaliste ; ils proposent à la place la notion de “points nodaux” dérivée du concept de “points de capiton” de Lacan. Les points nodaux sont construits à travers des pratiques hégémoniques, des pratiques d’articulation.

v Voir: Lugones, M. (2016). The Coloniality of Gender. In W. Harcourt (Ed.), The Palgrave Handbook of Gender and Development (pp. 13­33). London: Palgrave Macmillan.

vi Voir: Derrida, J. (1992). Force of Law: The ‘Mystical Foundation of Authority’ . In M. Cornell, R. Michel, & D. G. C. David (Eds.), Deconstruction and the Possibility of Justice (pp. 3­67). London and New York: Routledge.

vii J’ai exploré la mobilisation de sources populaires en collaboration avec Théo Aiolfi dans: Petrović Lotina, G., & Aiolfi, T. (Eds.). (2023). Performing Left Populism. Performance, Politics and the People (pp. 124). London and New York: Bloomsbury.

viii J’explore les processus d’identification dans: Petrović Lotina, G. (2021). Choreographing Agonism. Politics, Strategies and Performances of the Left. London and New York: Palgrave Macmillan.


Télécharger l'étude complète