Réunie à Barcelone du 29 septembre au 1er octobre 2025, la Conférence mondiale de l’UNESCO sur les politiques culturelles et le développement durable a rassemblé plus de 160 délégations, dont près de 120 ministres de la Culture, pour débattre de la place de la culture dans les stratégies de développement. Autour de l’événement officiel, des forums de la société civile —dont Ágora Cívica— ont prolongé la réflexion sur les droits culturels et les inégalités persistantes.
Coïncidant aussi avec La Mercè, fête majeure de la ville en l’honneur de sa patronne, la capitale de la Catalogne a atteint un point d’ébullition culturelle marqué par des débats sur le rôle de la culture dans les politiques de développement. J’ai eu l’occasion d’assister à ces rencontres, d’échanger avec des collègues de différentes régions et d’accompagner, en qualité de consultant externe, la délégation chilienne conduite par sa ministre d’État.
MONDIACULT 2025 s’inscrit dans la trajectoire initiée à Mexico en 1982, lors de la première Conférence mondiale sur les politiques culturelles, dont la déclaration finale définissait la culture comme « l’ensemble des traits distinctifs, spirituels et matériels, intellectuels et affectifs, qui caractérisent une société ». Elle englobait, au-delà des arts et des lettres, « les modes de vie, les droits fondamentaux de la personne humaine, les systèmes de valeurs, les traditions et les croyances ». Quarante ans plus tard, la Déclaration de MONDIACULT 2022, tenue aussi à Mexico, a reconnu la culture comme un « bien public mondial », dotée d’« une valeur intrinsèque pour permettre et orienter le développement durable », invitant les Nations Unies, au paragraphe 19, à intégrer la culture comme objectif spécifique du programme post-2030.
Le document final de MONDIACULT 2025 s’est toutefois révélé moins ferme sur ce point si central. Bien que la déclaration reconnaisse la culture comme composante d’un « développement juste, pacifique et durable », elle se limite à affirmer qu’elle « devrait être envisagée » comme objectif indépendant du futur cadre onusien après 2030. Cette formulation a remplacé une formulation antérieure du projet qui proposait de l’inclure explicitement en tant que telle. Ce changement sémantique révèle l’ambiguïté des États lorsqu’il s’agit de s’engager et d’assumer une demande soutenue depuis des années par la société civile et les organisations internationales non gouvernementales dans le domaine de la culture.
Cette demande a été portée, entre autres, par #Culture2030Goal, initiative d’un consortium d’organismes techniques internationaux qui, juste avant la conférence, a présenté un document de position justifiant l’inclusion d’un objectif spécifique consacré à la culture, accompagné d’un rapport analytique avec cibles et indicateurs. De même, Cités et Gouvernements Locaux Unis (CGLU) a présenté une déclaration à l’issue de leur sommet sur culture, invitant l’UNESCO, le système des Nations Unies et les gouvernements nationaux à assumer des engagements clairs et vérifiables. Dans le même esprit, la Fédération internationale des conseils des arts et des agences culturelles (IFACCA), a publié son dossier MONDIACULT 2025, et la Fédération internationale des coalitions pour la diversité culturelle (FICDC) son programme de participation, soulignant toutes deux l’urgence de reconnaître la culture comme objectif indépendant dans l’agenda mondial du développement durable.
Si plusieurs délégations ont tenté de réintroduire une formulation plus contraignante dans la déclaration intergouvernementale, cela ne s’est pas reflété dans le texte final. Des pays en développement, dont tous les États d’Afrique subsaharienne, représentés par le Kenya, et les pays d’Amérique latine et des Caraïbes, à travers le Chili, le Panama, le Paraguay et la République dominicaine, ont défendu un langage plus catégorique en faveur de l’objectif culture ce qui, pour les pays américains, exprimait la position de la Déclaration de la XXIIe Conférence ibéro-américaine de la culture, adoptée elle aussi à la veille de MONDIACULT 2025. Dans les négociations du document de l’UNESCO —déjà conclues avant la conférence—, certains pays développés ont privilégié une formulation moins ambitieuse de l’objectif culture, qui s’est imposée dans le texte de compromis.
Dans la section consacrée à la culture et au développement durable après 2030, la déclaration officielle décline 9 domaines prioritaires de politiques et pratiques culturelles, intégrant les 6 thèmes principaux de la conférence —droits culturels ; technologies numériques ; culture et éducation ; économie de la culture ; culture et action face au changement climatique ; culture, patrimoine et crises— ainsi que 2 axes transversaux : culture pour la paix et intelligence artificielle et culture, auxquels s’ajoute un dernier point sur les données culturelles, la recherche et l’évidence. Dans tous ces domaines, les engagements énoncés sont de portée générale et se présentent sous forme de listes, révélant un langage davantage orienté vers le consensus que vers l’action effective.
Les droits culturels ont occupé une place centrale à Barcelone. Le gouvernement espagnol —qui en tant qu’hôte a présidé la conférence officielle—a présenté son Plan des droits culturels, élaboré à travers un processus participatif et récemment publié. Bien qu’il ne se soit pas encore traduit par une loi nationale, ce plan constitue un effort significatif pour articuler 146 mesures destinées à promouvoir, garantir et mettre en œuvre ces droits fondamentaux, dont la plupart sont prévues à court terme.
La Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur les droits culturels, Alexandra Xanthaki, a rappelé qu’il s’agit de droits humains des personnes, et non des États. Ces derniers ont toutefois l’obligation, fondée sur des instruments juridiques internationaux contraignants, de garantir que chacun puisse accéder, contribuer et participer librement à la vie culturelle. Elle a insisté : ces droits ne se réalisent que par « implémentation, implémentation et implémentation ».
La rapporteuse a également observé, non sans une certaine ironie, qu’alors que ces sujets étaient débattus au centre international de conventions, à plusieurs kilomètres de là, d’autres espaces culturels de la ville accueillaient des discussions similaires selon des approches plus critiques et participatives. Ainsi, en parallèle, se présentait à Culturopolis —un autre des forums de la société civile— la Déclaration de Barcelone sur les droits culturels, un document ouvert qui reconnaît le potentiel émancipateur de la culture, mais aussi son caractère disputé, où des structures politiques et économiques peuvent limiter des droits et approfondir des inégalités.
Une autre initiative à souligner est Fair Culture, impulsée par la Commission allemande pour l’UNESCO avec le soutien d’entités publiques et privées de différents pays, qui a présenté, lors d’un événement précédant la conférence officielle, sa Charte du mouvement Fair Culture, ouverte à l’adhésion de personnes et d’organisations. Ce document propose huit principes pour des relations culturelles plus justes, fondées sur la réciprocité, la responsabilité partagée et l’équilibre entre durabilité et diversité culturelle.
Ont également participé aux rencontres certains membres du groupe qui, en 2007, a publié la Déclaration de Fribourg sur les droits culturels, un document d’origine académique et non contraignant qui systématise un catalogue élargi de ces droits à partir des principaux instruments internationaux des droits humains. Le juriste Patrice Meyer-Bisch, l’un de ses promoteurs, a souligné dans ses interventions que tous les droits humains ont une dimension culturelle et a annoncé qu’une mise à jour de cette déclaration est en préparation à l’occasion de son vingtième anniversaire.
Les défis posés par les nouvelles technologies et l’intelligence artificielle au secteur créatif et à l’exercice des droits culturels ont également fait l’objet de débats nourris. Plusieurs voix ont appelé à un Protocole additionnel à la Convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, afin d’adapter ses dispositions à l’environnement numérique et d’établir un cadre global pour préserver la diversité culturelle et linguistique en ligne. Cette proposition, discutée depuis plusieurs années dans le cadre des réunions statutaires de la Convention et soutenue par un groupe d’experts ad hoc, se heurte à la résistance de plusieurs États développés.
Parmi les principales publications de l’Organisation à l’occasion de la conférence figurent le rapport mondial de l’UNESCO sur les politiques culturelles, significativement intitulé « La culture : l’ODD absent », première édition d’un rapport qui sera publié tous les quatre ans pour assurer le suivi des politiques globales (un engagement pris à MONDIACULT 2022) ; le Cadre actualisé de 2025 de l’UNESCO pour les statistiques culturelles, dont la mise à jour était attendue depuis 2009 ; et le Rapport du groupe indépendant d’experts sur l’intelligence artificielle et la culture, qui examine les implications éthiques du développement de l’intelligence artificielle dans les politiques liées à la culture.
Barcelone s’est ainsi affirmée comme capitale mondiale de la culture, offrant un espace de convergence entre visions institutionnelles et citoyennes sur l’avenir des politiques culturelles. Mais, derrière le langage diplomatique et les formules de consensus, demeure une distance palpable entre la rhétorique et l’engagement réel. MONDIACULT 2025 laisse ouverte une question essentielle : comment traduire les déclarations en mécanismes garantissant l’exercice effectif des droits culturels et consolidant la culture comme véritable pilier du développement durable ?