Introduction
La diversité culturelle s’est progressivement imposée comme l’un des fondements majeurs des politiques culturelles en Communauté française de Belgique, aujourd’hui Fédération Wallonie-Bruxelles. Dès 1999, elle a structuré explicitement les déclarations de politique communautaire. Ces politiques jusqu’à présent du moins, ont voulu préserver le pluralisme des opinions et des expressions face aux logiques du marché. Analyser aujourd’hui l’avenir de la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles de 2005 après la réunion MONDIACULT revêt une pertinence
particulière aujourd’hui.
Son avenir met à l’épreuve la capacité de politiques culturelles francophones, en Fédération Wallonie-Bruxelles comme dans l’ensemble de l’espace francophone, à répondre aux transformations contemporaines : mondialisation numérique, enjeux de découvrabilité des contenus produits en français, recompositions identitaires, nouvelles inégalités d’accès et défis démocratiques liés au pluralisme culturel. Devenue un instrument normatif complexe et l’un des derniers témoins du multilatéralisme culturel, la Convention se heurte aujourd’hui à plusieurs obstacles institutionnels qui limitent la rapidité d’action pourtant nécessaire pour protéger et encadrer les expressions et les créations culturelles face aux bouleversements technologiques en cours.
Mise en oeuvre de la Convention et obstacles
Adoptée en octobre 2005 lors de la 33ᵉ Conférence générale de l’UNESCO, à la suite de débats sur les risques que la mondialisation faisait peser sur la diversité culturelle, la Convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles est entrée en vigueur en mars 2007 et compte aujourd’hui 160 Parties (159 États et l’Union européenne).
S’appuyant sur la Déclaration universelle sur la diversité culturelle (2001) — affirmant que « la diversité culturelle est pour le genre humain aussi nécessaire que la biodiversité dans l’ordre du vivant »—, la Convention constitue le premier instrument juridiquement contraignant dédié à la diversité des expressions culturelles. Celles-ci résultent de la créativité d’individus, de groupes et de sociétés et possèdent des significations symboliques, des dimensions artistiques et des valeurs culturelles enracinées dans des identités culturelles.
La Convention offre aux États un cadre pour soutenir leurs secteurs créatifs, en réaffirmant leur droit souverain de formuler des politiques culturelles et d’adopter des mesures destinées à protéger et promouvoir la diversité culturelle. Elle établit aussi des mécanismes de coopération internationale, notamment en faveur des pays en développement, tels que le traitement préférentiel (article 16) et le Fonds international pour la diversité culturelle (article 18).
Depuis près de deux décennies, cet instrument est devenu une référence majeure pour les politiques culturelles et la coopération internationale. Les Parties doivent soumettre des rapports quadriennaux décrivant leurs mesures et politiques relatives à la diversité des expressions culturelles, servant d’outil de suivi et de base pour des analyses comparatives. L’influence de la Convention s’observe également dans des législations culturelles nationales et dans certaines dispositions intégrées à des accords commerciaux.
La Conférence des Parties et le Comité intergouvernemental, organes directeurs du traité, ainsi que le Secrétariat de l’UNESCO, veillent à sa mise en oeuvre et adoptent, lorsque nécessaire, des Directives opérationnelles guidant l’application de ses dispositions. La société civile joue aussi un rôle clé (article 11).
Cependant, l’application nationale demeure souvent limitée, les priorités publiques accordant un poids restreint au secteur culturel. Ces dernières années, l’UNESCO, les organes directeurs et diverses organisations ont souligné le manque de progrès sur deux enjeux essentiels : le traitement préférentiel pour les pays en développement et l’adaptation de la Convention à l’environnement numérique. Lors de sa 9ᵉ Conférence des Parties (juillet 2023), deux groupes de réflexion ont été créés : l’un sur l’article 16, l’autre sur la diversité des expressions culturelles en ligne, afin de formuler des recommandations stratégiques pour renforcer la mise en oeuvre.
Bien que ces questions aient été traitées par les Directives opérationnelles correspondantes (sur le traitement préférentiel en 2009 et sur l’environnement numérique en 2017), leur mise en oeuvre demeure limitée. Pour le traitement préférentiel —obligation au titre de l’article 16, selon lequel les pays développés doivent faciliter les échanges culturels par des cadres institutionnels et juridiques appropriés— son application a été freinée par une connaissance insuffisante de sa portée dans les administrations nationales et par un manque de coordination interministérielle, tant dans les pays développés que dans les pays en développement.
L’environnement numérique présente, quant à lui, des défis croissants : faible découvrabilité des contenus culturellement diversifiés, biais algorithmiques, manque de transparence des plateformes dominantes, enjeux de propriété intellectuelle touchant les créateurs, et préoccupations liées à la souveraineté culturelle, notamment face au développement rapide de l’IA, y compris des modèles génératifs. Il convient de rappeler qu’après les Directives opérationnelles (2017), le Secrétariat a élaboré en 2019 une Feuille de route ouverte destinée à orienter les efforts nationaux. Néanmoins, seuls 4 États ont
soumis des plans alignés, témoignant d’un engagement limité.
Dans ce contexte, les deux groupes de réflexion sur le traitement préférentiel et sur l’environnement numérique ont tenu des réunions en 2024 et publié leurs rapports début 2025, présentant 5 recommandations pour le premier groupe
d’experts et 11 pour le second. Lors de sa 18ᵉ session (février 2025), le Comité intergouvernemental les a adoptées et a encouragé l’exploration de synergies entre les deux ensembles. Toutefois, la recommandation n° 1 du groupe consacré au numérique —préconisant l’adoption d’un Protocole additionnel— a été laissée en suspens pour décision par la Conférence des Parties.
10ᵉ Conférence des Parties
Lors de cette réunion statutaire, tenue en juin 2025 à l’occasion du vingtième anniversaire de la Convention, les États ont réaffirmé l’adoption des recommandations visant à renforcer la mise en oeuvre de l’article 16, notamment en consolidant le suivi, en facilitant le partage de bonnes pratiques et en renforçant la coopération technique.
Concernant les recommandations relatives au numérique, la Conférence a réaffirmé les recommandations 2 à 11, portant sur le partage d’informations, le suivi, le renforcement des capacités, la sensibilisation et des actions ciblées de l’UNESCO sur l’IA et la culture. L’appel à une mise à jour des Directives de 2017, bien que non mentionné dans les recommandations, a émergé des discussions et a été intégré aux résultats.
S’agissant de la recommandation n° 1 sur le Protocole additionnel, la Conférence a adopté une résolution de compromis (point 8.b) demandant une étude préliminaire des aspects techniques et juridiques, en tenant compte des instruments existants —notamment la Recommandation sur l’éthique de l’IA (2021) et celle sur la promotion et l’usage du multilinguisme et l’accès universel au cyberespace (2003). La Recommandation relative à la condition de l’artiste (1980), bien que non mentionnée dans la résolution, demeure également pertinente.
Lors de la 5ᵉ édition du Forum de la société civile —tenu la veille de la Conférence, avec la participation d’environ 90 organisations— plusieurs préoccupations ont été exprimées concernant la supervision des technologies numériques et de l’IA, la protection des créateurs, la transparence algorithmique et l’accès équitable aux marchés. La Fédération internationale des coalitions pour la diversité culturelle a notamment plaidé pour un instrument contraignant.
Vers un protocole additionnel ?
L’étude préliminaire sur la faisabilité d’un nouvel instrument sera présentée lors de la 19ᵉ session du Comité intergouvernemental (février 2026), qui décidera d’ouvrir ou non la procédure. Une résolution de la 11ᵉ Conférence des Parties (2027) suivrait. Si approuvée, la proposition serait ensuite examinée par le Conseil exécutif et la Conférence générale. La rédaction impliquerait deux groupes d’experts, indépendants puis intergouvernementaux. En tenant compte de ces étapes, 2029 apparaît comme l’échéance la plus réaliste pour une adoption, sous réserve d’un processus sans retards.
Le contexte politique demeure toutefois sensible. Les États-Unis, bien qu’ils ne soient pas Partie à la Convention, exercent une influence indirecte en raison du poids mondial des grandes plateformes établies sur leur territoire. Leur annonce, en juillet 2025, d’un nouveau retrait de l’UNESCO —effectif au 31 décembre 2026— devrait affecter le budget de l’Organisation et le ton des délibérations. Par ailleurs, l’élection du candidat égyptien Khaled El-Enany à la Direction générale lors de la 43ᵉ Conférence générale, suivie de son entrée récente en fonctions, ouvre une nouvelle phase institutionnelle susceptible d’influer sur la manière dont seront examinées des questions majeures, notamment d’éventuelles évolutions normatives dans le cadre de la Convention.
Plusieurs pays développés, dont des États membres de l’UE, ont exprimé des réserves quant à l’opportunité de progresser vers un Protocole, invoquant des délais longs et les complications liées à la coexistence de deux instruments distincts. L’UE dispose toutefois déjà de plusieurs réglementations couvrant certains aspects du numérique liés au contenu culturel, parmi lesquelles la Directive sur les services de médias audiovisuels (2018), le Règlement sur les services numériques (2022) et le Règlement sur l’intelligence artificielle (2024).
À l’inverse, plusieurs pays en développement ont appelé à des avancées plus résolues, soulignant l’urgence de traiter les enjeux de diversité culturelle en ligne et la nécessité d’un cadre plus robuste. Pour ces États, un tel instrument pourrait structurer les cadres nationaux, combler des lacunes de capacités, renforcer le pouvoir de négociation et offrir des moyens plus tangibles de mise en oeuvre de la Convention.
L’ajout de protocoles à des traités existants n’est pas inédit dans les conventions culturelles de l’UNESCO. La Convention pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé (1954), ratifiée par 138 États, a été complétée par deux
protocoles (1954 et 1999), fournissant un précédent clair. Bien que comptant moins de Parties, ces instruments ont eu un impact normatif et pratique notable, tout en nécessitant des ressources limitées et en renforçant le cadre initial.
Conclusion
Vingt ans après son adoption, la Convention de 2005 demeure un pilier du droit international de la culture et des politiques culturelles, mais elle doit faire face aux défis liés à la transformation numérique. Les résultats de la 10ᵉ Conférence des Parties mettent en évidence une priorité émergente : la sauvegarde de la diversité culturelle dans l’environnement en ligne, notamment face à l’essor des technologies d’IA, un enjeu où les déclarations de principe ne suffisent plus.
L’avenir de la Convention dépendra autant de la capacité à traduire les engagements en actions concrètes que de la volonté d’explorer des mesures plus contraignantes et de traiter ces enjeux au plus haut niveau politique. Sans ces efforts, la diversité des expressions culturelles risque d’être davantage érodée à l’ère numérique. Pour la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui a historiquement fait de la diversité culturelle l’un des fondements de son action publique, ce constat invite à un positionnement plus affirmé. La mise en oeuvre réelle des engagements, la défense de mécanismes plus contraignants et la capacité à porter ces questions au plus haut niveau politique deviennent des conditions essentielles. À défaut, la FWB, comme d’autres espaces culturels francophones, risque de voir s’affaiblir sa marge d’action et de laisser s’accentuer l’érosion de la diversité des expressions culturelles dans un écosystème numérique dominé par des logiques globalisées et peu régulées.