Sortir en boîte de nuit pour se divertir, écouter de la musique, danser et interagir avec d’autres personnes est une pratique sociale profondément ancrée dans le quotidien des Bruxellois∙es. La culture du clubbing – ou club culture – englobe bien plus qu’un simple loisir nocturne. Elle représente un écosystème riche, rassemblant artistes, organisateurices, technicien∙nes et passionné∙es. Ensemble, iels orchestrent une atmosphère captivante, mêlant musique, jeux de lumières et performances pour créer une communion sensorielle unique.

“Bruxelles peut se targuer d’être une véritable capitale de la nuit” peut-on lire sur le site de visit.brussels mais depuis quelques années, cette pratique connaît une évolution marquée avec l’émergence d’événements de jour, plus spécifiquement le dimanche après-midi. Ces initiatives répondent à une demande croissante et reflètent une adaptation des acteurices culturel∙les aux réalités sociales et législatives de la capitale belge.

Un nouveau public ?

Historiquement, le clubbing se déroule essentiellement la nuit, parfois même jusque dans la matinée. Cependant, plusieurs facteurs ont conduit à l’essor des événements en journée. Tout d’abord, les créateurices d’événements, comme celleux de la Technoon et la Metropolis, ont fait le choix stratégique de s’éloigner de la concurrence intense des grandes soirées et propositions des clubs du samedi. Pour ces collectifs émergents, il s’agissait de trouver un créneau propice, où les artistes et le public seraient pleinement disponibles.

Ensuite, des considérations pratiques entrent en jeu : les organisateurices (mais aussi une partie des clubbers¹), souvent engagé∙es dans des emplois traditionnels en semaine, trouvent dans ce format dominical une alternative viable. La location des espaces est également simplifiée, notamment grâce à une législation plus souple par le fait que les événements se terminent à 22h, respectant ainsi les contraintes de tapage nocturne et le voisinage.

Ces événements attirent une population différente de celle des soirées nocturnes traditionnelles. Le public du dimanche après-midi choisit intentionnellement d’assister à ces rendez-vous, privilégiant une expérience musicale et sociale sans pour autant compromettre son cycle de sommeil ou sa semaine de travail. Ce qui rend l’atmosphère très différente, inclusive et respectueuse. Personne n’est arrivé là “par hasard”.

Une effervescence inspirée par Berlin

L’influence de la scène berlinoise sur la culture clubbing bruxelloise est indéniable. À Berlin, les événements en journée font partie intégrante de l’écosystème techno et underground, offrant la possibilité d’un marathon musical du vendredi soir au lundi matin sans interruption. Mais permettant également au public d’aller danser en journée après avoir fait une nuit complète de sommeil.

À Bruxelles, cette approche séduit un public à la recherche d’une expérience similaire, mais dans un cadre plus accessible et adapté à leur quotidien. Les événements comme Technoon et Metropolis incarnent cet esprit berlinois tout en y ajoutant une touche locale. Par exemple, Metropolis a accueilli des artistes de renom, tels que Peter Van Hoesen (d’ailleurs lui-même fondateur de la Technoon), Altinbas (lui aussi fondateur de la Metropolis), Woody92, Spekki Webu, Konduku, Franz Jäger et Azu Tiwaline, dans des formats où la qualité sonore et l’intimité sont privilégiées.

L’utilisation de systèmes audio comme le Funktion-One renforce l’immersion et la singularité de ces rendez-vous dominicaux. L’expérience du public est un point central dans la conception de ces évènements. Par le biais d’une scénographie adaptée, d’un parcours utilisateurices recherché au sein du lieu de fête, d’espaces chill² et de prise en compte des “essentiels de teuf”³, cela permet la création d’un espace unique afin de profiter pleinement de la musique.

Patrimoine immatériel et soutien institutionnel

La reconnaissance récente de la culture clubbing bruxelloise comme patrimoine immatériel par la Région est une étape cruciale. Elle souligne l’importance de cette pratique dans le paysage culturel de la capitale. Cette reconnaissance fait suite à des événements marquants, comme la fermeture temporaire du club emblématique Fuse en 2023, qui a déclenché une onde de choc parmi les amateurices de musique électronique.

La création de la Brussels By Night Federation par Lorenzo Serra, acteur incontournable de la scène bruxelloise (connu notamment pour les Dirty Dancing, Under My Garage et plus récemment le Listen! Festival), illustre la volonté des professionnel∙les de structurer et de défendre leurs droits. Cette fédération milite pour que les établissements et événements soient considérés comme des espaces de production culturelle à part entière, même si leurs horaires diffèrent des autres lieux culturels traditionnels.

Une curation irréprochable

L’un des points forts du clubbing bruxellois, et en particulier des événements du dimanche après-midi, est la qualité de la programmation artistique. Les collectifs locaux et internationaux s’efforcent de proposer des line-ups variés et audacieux, mettant en avant des talents émergents et confirmés. Cette attention à la curation contribue à en faire des moments uniques, où chaque détail – de l’éclairage au sound design – est minutieusement travaillé.

Venant initialement de la culture underground, la techno jouée lors des sets et lives des évènements dominicaux est d’autant plus singulière que les propositions des grand∙es artistes du milieu. Comme le souligne Sonhan, cofondateur de Metropolis avec Souleiman (anciennement connu sous le nom de lunar convoy), ces événements ne sont pas seulement des lieux de divertissement, mais aussi des “spots parfaits pour mettre en lumière les bonnes raisons de faire la fête.” En valorisant une musique exigeante et des valeurs de respect, de bienveillance et de partage, ils participent à enrichir l’offre culturelle de la ville.

Une réponse aux préoccupations dans le milieu de la fête

Cependant, le clubbing reste confronté à des enjeux majeurs, notamment la consommation excessive de substances psychoactives. Les organisateurices des événements du dimanche après-midi se positionnent comme des acteurs responsables en démarrant leurs événements en milieu d’après-midi, marquant ainsi une scission claire entre la fête de nuit et celle de jours afin d’éviter le flot de personnes cherchant à faire after⁴. En optant pour des horaires de journée et en promouvant une ambiance conviviale, ces initiatives permettent de minimiser les risques associés à la fête. Il y a aussi de plus en plus d’associations telle que Modus Fiesta, pour n’en citer qu’une seule, proposant des formations de soins dans le milieu de la fête.

Cette approche contribue également à changer la perception du clubbing, souvent réduit à ses excès. En offrant un espace où la musique et l’art priment sur tout le reste, ces événements renforcent la légitimité de la culture clubbing comme pratique artistique et sociale essentielle au dynamisme de Bruxelles.

Portée par des acteurices passionné∙es et une curation exemplaire, cette scène contribue à l’effervescence culturelle de la ville, tout en répondant à des préoccupations sociétales majeures, telles que l’impact (positif comme négatif) de la fête sur la santé et le bien-être. Plus qu’un simple loisir, le clubbing dominical s’impose comme une nouvelle façon de célébrer la musique, la communauté et l’art dans un cadre respectueux, inclusif et porteur d’avenir.

Conclusion

L’essor du clubbing dominical à Bruxelles est bien plus qu’une simple tendance : il s’agit d’une adaptation intelligente à un contexte social, économique et législatif en mutation. En s’inspirant de modèles comme celui de Berlin, tout en développant une identité propre, les organisateurices bruxellois∙es ont su transformer une contrainte en opportunité et ouvrir la voie à une nouvelle manière de vivre la fête.

Sources

Notes

  1. Les personnes venant faire la fête en club.

  2. Espaces de détente et de repos, en général éloignés de la musique.

  3. Terme utilisé par Sonhan lors de l’entretien.

  4. Réception, fête organisée après la fermeture des établissements ouverts la nuit.


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