Introduction
Clémentine est diplômée de l’Institut d’études politiques de Bordeaux en gestion de projets culturels et développement des territoires. Installée à Bruxelles depuis 2014, elle a travaillé dans les domaines de la recherche, du conseil et de l’ingénierie de projets pour la culture et les industries créatives, auprès d’organismes publics et privés, notamment des institutions européennes. Son parcours allie une connaissance approfondie des secteurs culturels et créatifs, des mécanismes de soutien dans les Etats membres de l’UE avec une expertise en montage et gestion de projets européens. Ses intérêts se portent vers l’entrepreneuriat culturel, les collaborations interdisciplinaires et les politiques culturelles locales.
Le rapport de synthèse du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) publié le 20 mars 2023 alerte une fois de plus sur l’accélération du réchauffement climatique lié aux émissions de gaz à effet de serre par les activités humaines. Selon ce rapport, et ceux qui l’ont précédé, conserver un monde vivable implique de réduire immédiatement et considérablement les émissions dans tous les secteurs.
La culture ne fait pas exception.
L’impact écologique de la culture n’est pas un sujet nouveau mais il a connu un regain d’intérêt, assorti d’une demande croissante d’indicateurs de performance dans la deuxième moitié des années 2010 de la part des autorités subsidiantes, qu’elles soient européennes, nationales, régionales ou locales.
La transition écologique est culturelle
La culture est souvent évoquée comme un moteur de la transition écologique : en ouvrant des espaces de réflexion sur notre manière de vivre ensemble et d’habiter le monde en commun qui transcende les individus et donne un sens collectif à leurs actions. La culture aiderait les citoyens et les décideurs à faire face à la complexité et à l’incertitude croissantes du monde qui les entoure. Les œuvres culturelles et les acteurs du secteur seraient des interlocuteurs privilégiés pour mieux communiquer les connaissances scientifiques et relayer les interrogations voire les craintes des populations quant au changement climatique, à la dégradation de la biodiversité, au manque de sécurité alimentaire, aux inégalités et à l’injustice sociale. L’imagination et l’émotion suscitées par la création artistique, le rattachement à un patrimoine commun et un socle de valeurs, une vision partagée permettraient de donner corps à la réflexion et à l’action du niveau local au niveau global.
“Temps orageux : la nature et les humains : courage culturel pour le changement”, le rapport de la Méthode ouverte de coordination des États membres de l’Union Européenne de septembre 2022 met en avant le rôle de la culture dans les transformations nécessaires vers une société plus durable, du point de vue écologique, social et économique. Il met en lumière la dimension culturelle du développement durable, qui vient compléter et étendre la considération de la culture comme moteur et facilitateur de développement durable. Le rapport liste 11 pistes d’action pour que les secteurs culturels puissent contribuer pleinement aux objectifs de développement durable et plaide ainsi pour une nouvelle compréhension du rôle de la dimension culturelle du développement durable. Les choix et les solutions des opérateurs culturels en matière d’exigences environnementales et sociales font partie des leviers d’action mentionnés par le rapport et appelés de leurs vœux par diverses études et collectifs partout en Europe.
Transformer les pratiques culturelles
En effet, ce n’est plus un mystère pour personne, la culture produit un impact carbone important. Qu’il soit induit par les matières premières (papier, peintures, matériaux synthétiques), des éléments de décor ou de scénographie, l’énergie nécessaire à la production et à la diffusion (éclairage, dispositifs sonores, stockage des contenus audiovisuels), les transports pour faire venir le public, les nuisances environnementales des manifestations de grande ampleur ou la production de supports (téléviseurs, ordinateurs, tablettes, smartphones). Les secteurs culturels et créatifs font ainsi face à la nécessité d’adopter des pratiques plus vertueuses pour l’environnement. Et ils ont entamé leur transition : isolation des bâtiments, installation d’ampoules à LED pour les salles d’exposition et les scènes de spectacles, papier recyclé et encres végétales dans l’édition, facilitation de solutions de mobilité douce pour se rendre sur les lieux culturels, interdiction de la vaisselle en plastique dans les festivals, banques de matériaux et recyclage de décors et de costumes sont autant de solutions mises en œuvre par les professionnels de la culture pour limiter l’empreinte écologique de leurs opérations.
En Belgique, parmi les réseaux qui accompagnent et outillent les opérateurs culturels pour mettre en œuvre des pratiques environnementales plus vertueuses, on peut notamment citer EventChange en Wallonie Bruxelles, PULSE network et Greentrack en Flandre.
Ces initiatives témoignent à la fois d’une prise de conscience du monde culturel mais répondent également à une demande croissante de la part des instances qui les financent, publiques ou privées, ainsi que du public.
Sans négliger leur rôle, l’on est en droit de se demander, devant le précipice au bord duquel se trouve l’humanité, si ces transformations ne sont pas anecdotiques et si ce n’est pas tout le modèle de production et de diffusion culturelle qui serait à réinventer. La crise climatique induit une réflexion transversale sur les circuits de création, production, diffusion de la culture peut être sans précédent.
Dès lors “faire comme avant mais en vert” (pour reprendre les termes d’un intervenant du Palais de Tokyo à Paris lors d’une conférence sur la culture durable en 2022) ne suffirait plus.
Pour une permaculture : réutiliser les idées, pas seulement les matériaux
L’accélération du changement climatique avec des épisodes météorologiques extrêmes de plus en plus fréquents questionne par exemple la mission d’accueil des publics dans les institutions culturelles. Climatiser ou ne pas climatiser, chauffer ou ne pas chauffer, telles sont les questions qui se sont posées aux opérateurs culturels entre l’été et l’hiver 2022, pour des raisons de maîtrise des coûts face à l’envolée des prix des énergies mais aussi d’empreinte écologique. Des questions qui seront amenées à se reposer dans le futur.
Certains en appellent à une “slow culture”, qui selon les principes de la permaculture feraient un usage raisonné de l’espace et du temps pour produire moins mais mieux et de façon plus ancrée dans les territoires, avec les populations. Il serait souhaitable de refuser la pression continue pour produire plus rapidement des expositions, concerts, performances facilement remplaçables et de cesser d’utiliser la fréquentation comme indicateur de performance (et de renouvellement des contrats). Travailler sur des circuits courts, valoriser la création artistique locale, repenser les modèles de mobilité des artistes et des œuvres, en particulier pour les expositions géantes, impliquer les artistes invités sur des programmations plus longues et variées en lien avec plusieurs opérateurs culturels et sur des problématiques locales sont des pistes à explorer dans ce sens. Tout comme le fait d’utiliser les espaces culturels de façons plurielles, en collaborant avec d’autres organisations culturelles, des acteurs de l’enseignement et de l’éducation permanente, des entreprises et des associations.
Ne pourrait-on pas également voir ce changement de paradigme comme une opportunité de donner davantage de visibilité aux artistes sous-représentés dans les institutions culturelles et parmi les mouvements artistiques environnementaux ? Repenser les modalités de création et de production culturelle ainsi que les temporalités et espaces de sa diffusion pour permettre de donner à voir et à entendre des artistes de couleur, des artistes handicapés, des artistes issus des migrations qui proposent des perceptions et des récits multiples, à même de parler à une diversité de publics. La force d’imagination de la culture est aussi celle de penser un nouveau système et de transformer la contrainte écologique en terreau fertile à une création plus durable, inclusive et accessible. Une façon de concilier urgence écologique et diversité culturelle.
Dans un contexte d’échanges culturels mondialisés, une telle transformation ne peut se faire en autarcie. L’échange de connaissances, d’expériences et de programmes entre opérateurs culturels et décideurs en charge des politiques culturelles doit intervenir au niveau international et européen, au sein de réseaux sectoriels et transversaux.
Enfin, pour que le tournant durable ne soit pas un simple greenwashing, la transformation plus profonde de la culture doit s’accompagner d’un soutien politique assorti de moyens financiers sur le long terme.
Bibliographie et ressources
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Commission européenne, Direction Générale pour l’Éducation, la Jeunesse, le Sport et la Culture, Stormy times : nature and humans : cultural courage for change : 11 messages for and from Europe, Publications Office of the European Union, 2022
https://data.europa.eu/doi/10.2766/90729 -
Creative Carbon Scotland, “Why does art and culture need to think about climate justice”, 2022
https://www.creativecarbonscotland.com/whydoesartsandcultureneedtothinkaboutclimatejustice/ -
Eurocities, “Cultural policies support the ecological transition”, 2022
https://eurocities.eu/latest/culturalpoliciessupporttheecologicaltransition/ -
EventChange
https://eventchange.be -
Greentrack
http://greentrack.be -
Julie’s Bicycle, centre de ressources pour des outils pratiques et un soutien sur la façon d’agir maintenant pour le climat (en anglais)
https://juliesbicycle.com/resources/?_sft_resource_cat=webinarvideo&icon_cat_filter=1#resources -
Pulse Transitienetwerk
https://www.pulsenetwerk.be -
SHIFT Culture, ressources pour atteindre la durabilité environnementale dans le travail culturel (en anglais)
https://shiftculture.eu/achieveenvironmentalsustainabilityinyourwork/ -
The Shift Project, rapport Décarboner la culture, 2021
https://theshiftproject.org/article/decarbonerculturerapport2021/