Introduction

L’idée de cet article est inspirée par le film documentaire : Les effets de la méditation sur la santé vus par la science, produit par ARTE TV en 2017. L’objectif ici est de montrer comment les personnes racisées soumises à un degré de stress plus intense que les autres dans le monde occidental, bénéficieraient à inclure cette pratique dans leur vie quotidienne. Je me suis initiée à la pratique de la méditation Mindfulness ainsi qu’à d’autres techniques il y a une vingtaine d’années et j’ai enseigné le yoga de 2005 à 2017. En Belgique, contrairement aux Etats-Unis, on prend seulement conscience des effets du racisme structurel sur la santé depuis quelques années. Et on rencontre encore trop peu de personnes qui font appel à cette pratique pour surmonter les difficultés quotidiennes liées à la race. Ma connaissance des pratiques de méditation par des groupes d’Afrocentristes aux Etats-Unis, provient de mes recherches qui ont servi à la rédaction d’un mémoire en Histoire de l’art en 2007 à l’ULB sur les symboles culturels et l’Egyptocentrisme¹.

Stress et micro-agressions au quotidien

La société contemporaine est caractérisée par l’exposition au stress auquel l’ensemble de la population est soumise, des enfants aux adultes. Le stress apparaît quand le processus de réaction du corps humain à un stimulus externe en cas danger ou de défi à relever, devient la norme. Le corps oublie de retrouver son mode de fonctionnement à l’état de repos et reste continuellement en état d’alerte, en mode attaque ou fuite, parce qu’il a subi soit une pression trop intense, soit trop prolongée. Les médecins reconnaissent qu’il est un facteur de morbidité qui agit sur les défenses immunitaires et provoque des réactions inflammatoires. Quand nous nous sentons menacés, notre système endocrinien libère des hormones, dont le cortisol. Lorsque notre corps libère trop de cette hormone, cela crée des maladies auto-immunes. Or, les personnes noires vivant en contexte de minorité, sont particulièrement soumises à des agressions externes « mineures » et répétitives qui viennent s’ajouter aux défis quotidiens de tout un chacun, et des personnes de ces groupes en particulier : plusieurs études en Belgique et à Bruxelles ont déjà fait état des discriminations à l’emploi et au logement dont iels sont l’objet. La micro-agression est différente, elle s’ajoute et s’insinue à des situations banales de la vie quotidienne. En réalité, elles passent le plus souvent inaperçues, même pour une artiviste aguerrie comme moi. Je vais donc vous relater une anecdote qui exemplifiera, je l’espère, mon propos.

Je suis une personne qui s’identifie comme noire et femme. Dernièrement, je suis allée à la piscine à Hal et comme d’accoutumée, j’ai fait une séance de sauna après avoir nagé. C’était pendant les vacances scolaires et il y avait plus de monde que d’habitude dans le sauna. J’étais la seule adulte noire. Il y avait d’autres hommes et femmes blanc.he.s ainsi que deux enfants blanc.he.s et un garçon noir. Nous sommes donc tous là, posés. Quand, un maître-­nageur passe faire un contrôle parce qu’apparemment nous étions trop nombreux dans la pièce. Ce jeune homme est lui­-même racisé et afro-descendant, mais métis et pas noir. Il scrute la salle et me demande si le petit garçon à côté de moi est avec moi. Je réponds spontanément que non. Il le regarde alors et lui fait un signe de menton assez méprisant et lui dit : « Tu sors ! ». Je suis un peu surprise par le ton désagréable mais n’y prête pas plus d’attention. Le sauna est interdit aux moins de 16 ans non accompagnés. Mais c’est une des enfants blancs qui me ramènent à la réalité en me posant la question suivante : « Pourquoi, lui a-­t-­on demandé de sortir ? ». Je réponds : « Parce qu’il n’est pas accompagné d’un adulte et que c’est interdit. ». Ce à quoi, elle répond en se levant et en intimant à son petit frère : « Lève-­toi. On ne peut pas rester ici non plus ». Ils sortent. Ces enfants n’étaient pas accompagnés mais leur présence n’a même pas été questionnée par le maître-­nageur. Le petit garçon noir lui par contre a d’emblée été considéré comme un problème et a reçu un traitement humiliant auquel il n’aurait probablement pas été soumis s’il avait été blanc. Il a subi une micro-­agression dont il n’est probablement pas conscient. Si cette enfant n’avait pas réagi, même moi, je n’en aurais pas pris conscience. Même si cette micro-­agression n’était pas directement dirigée contre moi, elle était dirigée contre une personne de mon groupe, qui plus est un enfant. J’ai donc dû gérer plusieurs émotions : colère face à l’injustice, honte, culpabilité de ne pas l’avoir perçue et empêchée, sentiment d’impuissance. Tout cela, dans un contexte où j’étais venue chercher un peu de paix, de quiétude et de relaxation².

Le maître-­nageur, lui, a agi sous l’impulsion d’un biais cognitif. Dans un contexte donné, son œil est entraîné à percevoir les garçons noirs (et probablement maghrébins aussi) comme un problème, et il a réagi en conséquence. La répétition au fil du temps de ce type d’agression quasi imperceptible et pourtant bien réelle a un impact certain sur les personnes concernées. Manque d’estime de soi, perte de confiance en soi, difficulté à se projeter dans la vie, sentiment d’impuissance, etc. Et si un jeune homme, lui­-même racisé, est porteur de ces biais, on peut légitimement s’interroger sur les instituteurs(trices) blancs des écoles. Mais revenons aux effets de la répétition des micro-­agressions cumulées aux discriminations réelles, elles aussi quotidiennes.

Racisme structurel : impacts psychiques et sociaux

Dans un article de 2015, l’autrice et psychologue belge d’origine turque, Birsen Taspinar³ analyse les effets du racisme sur les enfants racisés. Elle y fait référence à la définition suivante du racisme (traduction personnelle) :
« Un système de domination, de pouvoir et de privilège basé sur des désignations de groupes raciaux… où les membres du groupe dominant créent ou acceptent leur privilège sociétal en maintenant des structures, une idéologie, des valeurs et un comportement qui ont l’intention ou l’effet de laisser les membres du groupe non dominant relativement exclus du pouvoir, de l’estime, du statut et/ou de l’égalité d’accès aux ressources sociétales. ».

Taspinar explique ensuite que dans un tel contexte, les personnes racisées sont plus enclines à développer des comportements dépressifs qui, non traités et à répétition peuvent eux­-mêmes mener à des maladies psychotiques. C’est pour ses vertus à amener les personnes qui la pratiquent à mieux contrôler ou gérer leurs réponses émotionnelles face à des influx sensoriels désagréables, douloureux que la pratique de la méditation me paraît particulièrement salutaire pour les personnes amenées à vivre des micro-­agressions en raison de leur race ou origine ethnique, à laquelle peuvent s’ajouter toute autre forme de rejet ou discrimination en raison par exemple de leur origine sociale, genre, handicap, orientation sexuelle, etc. Il va de soi que la pratique de la méditation s’avère bénéfique pour tout un chacun(e), racisée ou non. J’aimerais tout simplement inviter ici à réfléchir à la nécessité et aux bénéfices de l’apprentissage que les personnes racisées retireraient d’une pratique systématique de la méditation dès le plus jeune âge. La mise en place d’un tel projet pédagogique et éducationnel profiterait bien entendu à l’ensemble de la société, de la même manière que les mesures visant à mettre fin aux discriminations à l’emploi envers des groupes précis (femmes, handicapés) bénéficient finalement à l’ensemble de la population active.

La méditation comme outil de résilience

Méditer consiste à se concentrer sur l’instant présent. Porter son attention sur sa respiration ou sur les sensations perçues dans une partie précise de notre corps à l’instant présent, permet de prendre du recul par rapport à un stimulus extérieur désagréable. Il ne s’agit pas de nier l’existence de l’influx extérieur mais bien de réguler la réponse émotionnelle, le vécu social face à celui­-ci. Ce qui signifie que, comme on ne peut pas mettre fin au racisme du jour au lendemain, et que de toute façon, cela ne dépend pas uniquement de nous, nous allons porter notre attention sur ce qui est plus concrètement en notre pouvoir. Par exemple, nous pouvons réguler nos réactions émotionnelles et sociales par la pratique de la méditation afin de nous donner une chance de vivre des vies créatives et libres. Ou au moins de limiter les séquelles de ce fléau dans nos vies car en réalité les conséquences du racisme et des micro-­agressions sont dévastatrices. Heureusement, la pratique de la méditation peut s’avérer aussi puissante que le fléau lui­-même. En fournissant des ressources non seulement au moment même de l’agression et du traitement de son information mais aussi en limitant les séquelles de la répétition de celle­-ci. Car plus nous avons peur d’avoir mal, plus nous avons mal. Comme le dit l’adage : « Chat échaudé craint l’eau froide ». Et dans le cas des agressions racistes, à un moment si un individu est amené à voir le mal partout, la vie en société devient source de trop de souffrance et le risque de décompensation devient très élevé. Ce genre de dérèglement brutal marque souvent le début de maladies psychotiques. Il serait intéressant de pouvoir effectuer des études chiffrées permettant de confirmer le pourcentage de personnes atteintes de ces maladies en fonction de leur origine ethnique en Belgique et/ou en Europe afin de valider ou non ces hypothèses. Pour le moment, ce n’est malheureusement pas possible.

La méditation peut intervenir comme un remède en agissant sur les phénomènes d’anticipation toxique de la douleur menant à des maladies chroniques. Elle le fait en agissant là où un influx nerveux devient une sensation douloureuse. C’est-­à-­dire que la méditation nous permet d’entraîner notre cerveau à nous distancer de la douleur et à minimiser son impact pour notre santé. On ne change pas la douleur elle­-même mais la relation que l’on a face à elle. Elissa Epel⁴, professeure au département de psychiatrie de l’université de Californie à San Francisco, étudie les effets de la méditation sur nos cellules et y voit des effets positifs. De même, d’autres chercheurs comme Dr Joy DeGruy, auteure de Post Traumatic Slave Syndrome publié en 2005 et révisé en 2017, analysent la manière dont des traumas s’inscrivent dans l’ADN et se transmettent de génération en génération. Celle-ci s’est plus particulièrement intéressée à la transmission du syndrome post-traumatique au sein des populations afro-américaines aux Etats-Unis. Anne Ancelin Schützenberger dans son éponyme ouvrage « Aïe, mes aïeux⁵ », analyse les liens transgénérationnels, les secrets de famille, la transmission des traumas et affirme qu’il s’agirait plutôt d’une répétition consciente ou non de comportements familiaux qui serait en question plutôt que d’une transmission génétique. Quoi qu’il en soit, cette dernière s’accorde sur le fait que : « Lorsque les gens viennent vous consulter maintenant pour des angoisses, des cauchemars, des difficultés de vivre ou divers mal­être, il s’agit dans certains cas de deuils non faits de traumatismes passés qui recoupent souvent non seulement l’histoire, mais aussi la psycho-histoire de notre pays, avec ses drames divers. ».

En bref, que l’on soit convaincu ou non que les traumas s’inscrivent et se transmettent dans notre ADN, il est certain que la méditation est un outil précieux pour toutes et tous mais particulièrement pour les populations racisées qui vivent en contexte de minorités et qui ont déjà subi les traumatismes de l’esclavage et de la colonisation par le passé. Tous les individus sont concernés par des situations de stress mais tous ne sont pas des descendants de peuples colonisés et/ou esclavagisés. La méditation aide à apprendre à récupérer suite à un événement désagréable, à traiter l’information pour ce qu’elle est et à reconnaître le racisme de la situation, si c’est de cela qu’il s’agit, et permet de plus rapidement s’en remettre et passer à autre chose. Par contre, le comportement de déni, impacte moins l’individu sur le moment mais laisse des traces plus durables sur le long terme.

Pratiques afrocentristes et transmission des traumas

La méditation se trouve au cœur de pratiques mises en place par les Afro-Américains tenant de l’école afrocentriste appelée Kemet. Il s’agit de mouvements qui pratiquent les religions de l’Egypte ancienne tout en s’inscrivant dans un nationalisme culturel. Le leader d’un de ces mouvements (Ausar Auset) à New York, Ra Un Nefer Amen, a mis en place une méditation spécifique autour des onze sphères de l’arbre de vie. Cette pratique invite à visualiser les 11 sphères de la vie qui sont représentées par une série de divinités de l’antiquité égyptienne en partant de 0­-Amen qui représente la capacité d’être en paix, heureux que l’on possède ou non des choses matérielles, jusqu’à 10-­Geb qui représente la capacité d’être en bonne santé⁶. Parmi les valeurs promues se trouvent l’amour, l’ordre, la justice (à différencier de la vengeance) et peuvent guider les Afro-Américains dans leur chemin pour faire face à des injustices sociales qui concernent particulièrement leurs communautés, qui sont aussi parmi les plus pauvres du pays. Et comme la malnutrition et l’obésité accompagnent très souvent la pauvreté (double peine), ces mouvements mettent en place des stratégies pour inviter les personnes qui méditent à réfléchir à ces thématiques. Les références culturelles à l’Egypte antique ou à d’autres cultures africaines répondent à des besoins identitaires propres à des populations déplacées, le plus souvent malgré elles. Il va de soi que tous les êtres humains peuvent utiliser ces méthodes pour leur développement personnel. L’objectif final étant la connaissance de soi.

Dans un prochain article, il s’agira de montrer comment le religieux décolonisé utilise et produit d’autres pratiques culturelles (comme la danse, la transe, le chant ou l’art) qui agissent comme autant de forces émancipatrices.

Notes

¹ Egyptocentrisme, symboles culturels et identité chez les Africains-Américains aux Etats-Unis. Mémoire de licence en Histoire de l’art et archéologie – Civilisations non-européennes – 2006/7. A. Mpoma. Dir. P. Petit. Lect. D. Hersak.
² Depuis, une jeune femme noire et juriste à Bruxelles, qui fait partie de mon réseau car elle avait demandé de l’aide à une association avec laquelle je milite dans un cas de discrimination pour avoir accès au métier de juge, a posté une longue vidéo où elle dénonce un cas de discrimination dans un spa à Bruxelles. Ces lieux de détente, dont ont particulièrement besoin les personnes racisées s’avèrent donc parfois, être les lieux d’agression raciale. Des études et tests devraient être réalisés et des mesures prises pour endiguer ces situations.
³ https://www.kinderrechtencoalitie.be/wp-content/uploads/2018/12/2015-Birsen-Taspinar-psychologische-effecten-van-racisme.pdf
https://youtu.be/YhK44UEKHY4
⁵ Anne Ancelin Schützenberger, “Aïe, mes aïeux ! Liens transgénérationnels, secrets de famille, syndrome d’anniversaire, transmission des traumatismes et pratique du génosociogramme”, Paris, Desclée de Brouwer, 1988 (16e édition revue et augmentée le 4 septembre 2007).
⁶ Les autres sphères sont 1­-Ausar (capacité de n’être qu’un avec toute chose), 2­-Tehuti (faculté d’être sage), 3-­Sekert (puissance qui nous permet d’achever nos projets), 4-­Maat (capacité de cultiver l’amour et l’ordre dans sa vie), 5-­Herukti (justice), 6-­Heru (capacité de choisir, de raisonner), 7-­Het Heru (capacité de visualiser et de se projeter dans l’avenir), 8­Sebek (capacité de communiquer une opinion sur quelque chose), 9­-Auset (capacité de dévotion pour le développement spirituel).


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