La participation en pratique

Les écueils du “community-washing”

On pourrait penser que présenter un projet participatif à un ou plusieurs groupe(s) pour leur permettre une ouverture culturelle nouvelle est un non-sens, en ce que la participation reste limitée à l’exécution d’un plan de travail préparé en amont par l’institution seule. Alors comment dépasser en pratique la dichotomie entre le critère d’inclusion nécessaire pour les institutions culturelles et une démarche qui est parfois elle-même loin d’être inclusive ? Les observations qui suivent sont le fruit de l’observation et de l’évaluation d’une expérience participative à grande échelle et des écueils rencontrés par la structure porteuse.

De la conception à la réalisation, les projets participatifs bousculent les codes, les calendriers, les procédés internes des institutions. Ils nécessitent une collaboration transversale au sein de l’institution et l’engagement de partenaires (associatifs, sociaux, culturels, éducatifs, activistes…) locaux qui doivent être assurés dès le départ que le processus leur sera bénéfique, ainsi qu’à leurs communautés. Les institutions culturelles doivent ainsi se présenter comme des partenaires fiables sur la durée, pas seulement comme des bailleurs et encore moins comme des commanditaires.

Des projets participatifs réussis reposent sur une solide connaissance des groupes visés, de leurs caractéristiques et de leurs besoins ainsi que des acteurs de terrain (par exemple asbl, structures médico-sociales et éducatives) régulièrement en contact avec eux. Le réseau et la relation de confiance sont primordiaux pour éviter aux organisations culturelles d’être perçues comme opportunistes. La coordination et la communication transversale que nécessitent les projets participatifs au sein des structures commence précisément à ce niveau. Dans des institutions de grande envergure, dont les opérations et l’organigramme sont complexes, les contacts tissés par le département éducation par exemple ne sont pas forcément exploités voire inconnus du département chargé de la programmation qui lance un projet participatif. La mutualisation des connaissances et des compétences au sein même de la structure se révèlent dès lors un atout certain pour une organisation désireuse de s’engager sur la voie de la participation avec des publics qu’elle mobilise habituellement peu.

Ouvrir des espaces de discussion hors des murs de l’institution, consulter les groupes cibles et leurs interlocuteurs à un stade très précoce de la conception du projet, leur donner la possibilité de faire des propositions, sont autant de garanties pour s’assurer que le projet reflète leur vision, leurs valeurs mais aussi leur niveau possible d’engagement. Le projet dans son ensemble peut ne pas être attractif pour toutes les organisations et tous les participants. Il s’agit alors d’identifier quelle partie peut faire l’objet d’une collaboration.

Une planification adéquate pour les participants appuie également la coordination interne afin d’éviter le télescopage voire la concurrence de moyens entre programmes dits “traditionnels” et ceux participatifs (ressources humaines, communication, moyens techniques). En effet, les projets participatifs se déroulent souvent en parallèle des productions de répertoire, d’expositions, de festivals dont les temps de préparation sont très longs. Faute d’engagement de l’ensemble de la structure, ils peuvent rapidement être perçus comme annexes et relégués au second plan dans les agendas des équipes.

Parce qu’ils impliquent des acteurs non-professionnels avec des contraintes horaires et une disponibilité limitée, les projets participatifs ont une temporalité différente des programmations régulières des institutions culturelles. Les asbl, groupes (péri)scolaires, structures médicales etc. sont généralement désireuses de participer à des projets qualitatifs mais elles ont des contraintes liées à la disponibilité des publics avec lesquels elles travaillent (par exemple les enfants en temps périscolaire ou les personnes en hospitalisation de jour). Élaborer conjointement une feuille de route claire pour l’ensemble du processus est essentiel, particulièrement s’il implique des temps de création et de répétition, en tenant compte de la disponibilité des groupes communautaires et de leur calendrier (école, vacances, fêtes religieuses…).

Renverser la perspective de la participation

Un mécanisme à double sens

Le temps de tisser des relations de compréhension et de confiance mutuelles excède souvent le temps des projets individuels, c’est pourquoi la participation ne peut s’envisager comme une action ponctuelle mais implique un véritable changement de paradigme qui impacte toute la structure organisationnelle des institutions culturelles qui s’y engagent.

S’il peut sembler évident de s’interroger, pour le public à qui le projet s’adresse, sur qui participe, à quel niveau, à quelle étape de la conception ou de la mise en œuvre du projet, avec quel pouvoir de décision, avec quelles ressources… ? La même logique s’applique au sein de l’organisation porteuse du projet : qui participe dans l’équipe, à quel niveau, à quelle étape de la conception ou de la mise en œuvre, quelles sont les compétences requises, quelles relations existantes peuvent être mobilisées, quel temps et quel budget faut-il y consacrer ?

Un processus “sincèrement” participatif implique l’ensemble de l’établissement : de la programmation à l’équipe technique qui va travailler avec des non-professionnels, de la direction artistique à la communication qui va s’adresser à des publics nouveaux via des canaux peut-être inhabituels. Il s’agit d’une véritable décision stratégique qui oriente l’ensemble de l’établissement avec la diversité des publics et de l’offre artistique comme objectifs partagés. Une décision qui requiert de mobiliser l’ensemble des forces vives sur la base de la concertation. Finalement, ce type de programmation demande aux organisations culturelles d’adopter des mécanismes de gestion et de prise de décision plus horizontaux et… participatifs !

Une vision claire et partagée par l’ensemble des équipes qui doit aussi, dans la mesure du possible, s’inscrire dans la durée avec un réseau de partenaires locaux et un suivi sur le long terme, pas seulement sur le temps d’un projet. Les projets participatifs avec une grande structure culturelle suscitent généralement l’enthousiasme et des attentes du côté des participants qui sont par la suite désireux de rester en contact avec l’institution. Rencontrer à nouveau les groupes impliqués dans le cadre d’un processus d’évaluation par exemple, proposer des activités de suivi avec les participants, leurs familles, un autre groupe “parrainé” par les participants, organiser des ateliers pour réfléchir ensemble à de nouveaux projets… les occasions peuvent être multiples pour réactiver le réseau et inventer de futures coopérations sur un pied d’égalité.

Un exercice vertueux pour la démocratie culturelle

Qu’on les nomme participatifs, inclusifs ou citoyens ou que l’on cède à l’anglais des community projects, la priorité est de donner aux communautés les moyens de créer leurs projets artistiques avec le soutien des institutions culturelles et pas l’inverse. Il s’agit de former les acteurs culturels afin que la demande d’inclusion entraîne véritablement des réflexions collectives au cœur des institutions, qui déboucheront sur des stratégies de long terme, des partenariats durables avec les acteurs des territoires.

Pour cela, la participation doit s’entendre moins comme un impératif venu de l’institution (“top down”) au service des objectifs de cette dernière mais davantage comme un mécanisme “bottom up” qui consisterait à s’inspirer de ce qui existe dans les milieux artistiques et culturels non-professionnels ou marginalisés et à développer des temps de rencontres, des espaces et des ressources en commun pour développer des relations plus justes et équilibrées sur le long terme.

Les stratégies participatives des établissements culturels ont ceci d’intéressant qu’elles permettent de repenser de façon globale le rapport de l’institution à la société dans son ensemble. En commençant par les publics mais en poursuivant la réflexion auprès des artistes soutenus (personnes handicapées, racisées, LGBTQ+), en produisant des expériences artistiques différemment en proposant une multitude de regards sur le monde et dans le territoire, de l’échelle micro locale, le quartier, à l’Union européenne. Un exercice pertinent dans la perspective d’une culture plus durable, locale, bas carbone et d’un secteur culturel plus inclusif.

Bibliographie

Adolfo Morrone, Guidelines for measuring cultural participation, UNESCO Institute for Statistics, 2006
http://uis.unesco.org/sites/default/files/documents/guidelines-for-measuring-cultural-participation-2006-en.pdf

Bollo, Alessandro et al., Study on Audience Development – How to Place Audiences at the Centre of Cultural Organisations (2017), 55.

Bonet Lluís, Calvano Giada, Carnelli Luisella, Dupin-Meynard Félix, Négrier Emmanuel. BeSpectACTive! Challenging Participation in Performing Arts. Editoria & Spettacolo, 2018.
https://www.bespectactive.eu/wp-content/uploads/2019/09/Be-SpectACTive.pdf

Commission Européenne (2017) Final Report, Study on Audience Development – How to place audiences at the centre of cultural organisations.
https://op.europa.eu/en/publication-detail/-/publication/cc36509d-19c6-11e7-808e-01aa75ed71a1

Commission Européenne, conférence “European Audiences: 2020 and beyond”, 16-17 octobre 2012.
https://ec.europa.eu/assets/eac/culture/library/reports/conference-audience_en.pdf

Dupin-Meynard, F. and Villarroya, A. “Participation(s)? Typologies, uses and perceptions in the European landscape of cultural policies” dans Dupin-Meynard, F. et Négrier, E. ed, Cultural Policies in Europe: a Participatory Turn?, éditions de l’Attribut, 2020.
https://www.ub.edu/cultural/wp-content/uploads/2020/10/Cultural-Policies-in-Europe-a-Participatory-Turn-2020.pdf

“What’s new about participation ? Interview croisée de Franco Bianchini, Jean Damien Collin, Luca Dal Pozzolo et François Matarasso” dans Dupin-Meynard, F. et Négrier, E. ed, Cultural Policies in Europe: a Participatory Turn?, éditions de l’Attribut, 2020.
https://www.ub.edu/cultural/wp-content/uploads/2020/10/Cultural-Policies-in-Europe-a-Participatory-Turn-2020.pdf pp113-114

“La participation est-elle antidémocratique ? L’instrumentalisation des publics en questions” une analyse par Mathias Mellaerts, Association Marcel Hicter (2020).
http://fondation-hicter.org/wp-content/uploads/2020/11/Mathias_La-participation-antidémocratique.pdf


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