Les expériences muséales et les offres d’expositions ont considérablement évolué ces dernières années grâce aux avancées technologiques. De nouvelles écritures pour la médiation culturelle apparaissent et utilisent de plus en plus les technologies immersives, telles que la réalité augmentée (AR), kinects, table et mur interactif, pour renouveler et enrichir l’expérience des visiteur·euses.

Cependant, l’intégration de ces technologies pose la question cruciale de la fracture numérique. Comment les institutions culturelles peuvent-elles utiliser ces outils sans exclure une partie de leur public ?

La médiation culturelle est parfois indispensable lors d’une visite au musée ou d’une exposition. Afin de comprendre les tenants et aboutissants d’une œuvre, une bonne communication et une maîtrise approfondie du contenu sont des éléments indispensables de la part du·de la médiateur·ice. Cependant, il y a un impératif qu’il faut prendre en compte dans l’équation, il s’agit de la connaissance et de l’écoute du public. Le but des expositions et expériences culturelles doit être axé sur le public ou, du moins, la cible qu’elles souhaitent toucher.

Selon la Commission nationale française de l’Unesco, la fracture numérique, terme apparu dans les années 90, désigne les difficultés d’accès et d’usage des technologies de l’information et de la communication. Elle touche particulièrement les personnes défavorisées sur le plan socio-économique et culturel, notamment celles en difficulté avec la lecture et l’écriture, ainsi que les personnes âgées ou en situation de handicap physique et/ou sensoriel. La transformation digitale globale de la société n’est pas sans conséquences sur l’accès aux services essentiels et sur les droits des personnes les plus fragiles. Cela concerne également les consommateur·ices culturel·les, tels que des grand-parents venant à une expo avec leurs petits enfants, des primo-arrivants venant avec un centre d’accueil ou dans le cadre d’une sortie avec l’article 27, toutes personnes ayant peu ou pas de contact avec la technologie.

Technologies immersives et publics : enjeux d’accessibilité

Celle-ci peut représenter un élément d’engagement comme un répulsif. Et les clichés peuvent se révéler des contre-vérités. Depuis l’apparition des technologies dans les expositions, c’est la première fois que le public peut toucher des objets au musée, ce qui représente un changement majeur et éveille la curiosité.

Les acteur·ices culturel·les cherchent de nouveaux formats afin de toucher le public et ont donc besoin d’outils de transversalité. Lors de leur première offre d’expérience en réalité virtuelle, l’institution bruxelloise Bozar a constaté un public particulièrement âgé mais néanmoins curieux, partage Laure Hendrickx, anciennement curatrice, scénographe et productrice pour les expositions immersives au Bozar et qui a présentement cofondé avec Marine Haverland sa propre agence de conseils en immersif pour les institutions culturelles, fomo.scene. Certaines institutions bien implantées ont déjà mis en place des initiatives inclusives. Par exemple, des musées proposent des tablettes avec des applications adaptées aux personnes âgées, ou encore des dispositifs de réalité augmentée permettant d’explorer des expositions à son propre rythme. Ces outils sont conçus pour être intuitifs et accessibles, même pour ceux qui ne sont pas familiers avec les nouvelles technologies. Cependant, les installations demandant l’utilisation de son propre smartphone (idéalement avec une mise à jour récente) se révèlent problématiques également dans le cadre de cette question. Dans quelles mesures le manque d’accès à ces outils n’empêche-t-il pas la pleine expérience d’une exposition ou d’une installation ?

Quand la technologie devient médiatrice et créatrice de lien

Hovertone, entreprise basée à Mons et spécialisée en design d’interaction, conçoit diverses expériences au service des messages et histoires que souhaitent raconter les musées et expositions. Leur objectif étant toujours de toucher le public et de l’impliquer. Avec l’aide de l’intelligence artificielle (IA) et des modèles de langage (LLM), iels ont développé des projets où les personnages historiques interagissent avec les visiteur·euses en leur répondant, rendant ainsi la médiation plus immersive et engageante.

Basé à Bruxelles mais exporté à l’international, Tempora est l’expert belge dans la conception d’expositions grand public. Tempora utilise des technologies interactives et immersives dans ses expositions. Par exemple, dans l’exposition “1917, la guerre en questions” au Musée royal de l’Armée à Bruxelles, Tempora a mis en place des dispositifs multimédias immersifs, incluant des projections interactives et des installations tactiles, pour plonger les visiteur·euses dans le contexte historique. De plus, pour l’exposition “Beyond Klimt” au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles, Tempora a intégré des technologies de réalité augmentée pour permettre aux visiteur·euses d’explorer des œuvres d’art sous de nouveaux angles. Ces exemples illustrent comment Tempora utilise la technologie pour enrichir l’expérience culturelle tout en gardant à l’esprit l’accessibilité et l’inclusion de tous les publics.

Rendre le public acteur de l’expérience est une manière de provoquer l’interaction. Généralement la curiosité prend le pas sur la timidité, lorsqu’on écoute les témoignages de l’équipe d’Hovertone et de Mosquito, studio parisien proposant des installations interactives dans de nombreux musées français et à l’étranger. Selon Emmanuel Rouillier, fondateur de Mosquito, une installation interactive réussie ne s’explique pas, la·e visiteur·euse se l’approprie naturellement. Une expérience utilisateur·ice (UX) est une question de travail qui implique de la recherche, une multitude de couches et surtout une simplification des actions. Du haut de ses 20 ans d’expérience, Mosquito tient les utilisateur·ices par la main par le biais du storytelling, de la gamification, de la création d’un scénario d’usage solide permettant une ergonomie fluide et inclusive.

En proposant des expériences interactives et immersives, les musées peuvent capter l’attention des visiteur·euses, susciter leur curiosité et faciliter l’appropriation personnelle et collective des contenus culturels. D’après les retours de Mosquito, les enfants ont tendance à apprécier les essais-erreurs tandis que les personnes âgées n’aiment pas rater, il est donc impératif de donner suffisamment d’indices afin que personne ne se sente en échec car c’est là que l’attention se perd et que le message n’est pas transmis.

Vers une expérience muséale inclusive et engageante

En conclusion, la transversalité et la création de lien entre les générations et entre les publics qui ne se seraient pas nécessairement parlé initialement sont au centre de la conjonction entre la technologie dans le cadre de la médiation culturelle et la fracture numérique. La technologie offre des opportunités extraordinaires pour enrichir la médiation culturelle et renouveler l’expérience des visiteur·euses.

En plaçant le public au centre de leurs dispositifs, en rendant les technologies accessibles et en proposant des initiatives inclusives, les institutions culturelles peuvent utiliser la technologie comme un levier pour démocratiser l’accès à la culture et toucher un public plus large. La médiation culturelle doit toujours avoir pour but de faire vivre une expérience enrichissante et accessible à tous, sans discrimination. Les technologies immersives et interactives, lorsqu’elles sont bien utilisées, peuvent jouer un rôle majeur dans la réalisation de cet objectif. Tant que le fond reste adapté à la forme ainsi qu’à la cible. Une installation interactive ne doit pas être seulement impressionnante par sa technologie, mais doit également être intuitive et engageante pour la·e visiteur·euse.

Comme le souligne l’équipe de Hovertone, la technologie doit être un moyen, et non une fin en soi. Elle doit servir à transmettre un message, à susciter une émotion, et à retenir l’attention. In fine, si l’expérience visiteur·euse est ludique, cela permet la démocratisation du contenu et donc une meilleure assimilation de ce qui est transmis lors de l’expérience.

Sources


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