L’expérience #festivalsdebout et le validisme au quotidien

En 2020 et 2021, la nécessité liée à la crise sanitaire de limiter les contacts a poussé les organisateurs à imposer temporairement d’assister aux concerts et festivals assis. Une expérience qui n’a pas plu à tout le monde et a vu naître le hashtag #festivalsdebout pour demander le retour d’une expérience culturelle considérée comme atteinte par l’obligation de rester assis. Cette réaction a provoqué l’indignation de personnes handicapées et a jeté un nouveau coup de projecteur sur le validisme à l’œuvre dans tous les aspects de la vie quotidienne et donc dans la vie culturelle : “En fait là t’es entrain de vivre l’expérience des personnes handicapées qui le vivent tout le temps d’être assis.”

Le validisme : qu’est-ce que c’est ?

Pour le comprendre, il faut partir du modèle social du handicap, adopté notamment par la Convention des Nations unies relative aux droits des personnes handicapées, entrée en vigueur en Belgique en 2009. Par opposition au modèle médical, le modèle social du handicap se définit comme le croisement entre une expérience individuelle et un environnement inadapté. On emploie souvent l’expression “personne en situation de handicap” pour souligner l’interaction d’une personne présentant certaines incapacités physiques, mentales, intellectuelles ou sensorielles avec diverses barrières qui font obstacle à sa pleine et effective participation à la société à égalité avec d’autres. Une personne n’est donc pas handicapée par essence, c’est le contexte dans lequel elle évolue qui la limite. Cependant, dans cet article nous parlerons de “personne handicapée”, en écho aux termes employés par les personnes handicapées elles-mêmes dans une volonté de retourner le stigmate, en déchargeant le terme de la connotation négative qui peut lui être attribuée.

Dans le modèle social, le validisme désigne “un système d’oppression subi par les personnes handicapées du fait de leur non correspondance aux normes médicales établissant la validité. […] les corps non correspondant, jugés handicapés, ont alors moins de valeur. Ils sont naturellement considérés comme inférieurs, et donc discriminables.”
Comment cela se traduit-il dans la participation culturelle des personnes handicapées ?

Inclusion partout, accessibilité nulle part ?

La valeur de la culture en matière d’inclusion et de cohésion sociale est reconnue et célébrée par la recherche, les orientations stratégiques au niveau européen comme au niveau national et local. L’inclusion devrait signifier que tous les individus, indépendamment de leur aspect physique, de leur genre, de leur état de santé, de leur langue, de leur religion, de leur éducation ou de leur pouvoir d’achat, se sentent à même de participer librement et naturellement à toutes les activités culturelles. L’article 30 de la Convention des Nations unies citée précédemment reconnaît la participation à la vie culturelle comme un droit pour les personnes handicapées, sur la base de l’égalité avec les autres. Il liste en outre un certain nombre de conditions d’accès aux produits, activités et lieux culturels sur lesquels les États parties à la Convention s’engagent. Cependant, dans la pratique, des obstacles physiques, une offre inadaptée ou des réticences politiques, institutionnelles et sociales rendent l’accès à la culture et la participation plus difficile, notamment pour les personnes handicapées. Pour éviter ces discriminations, l’inclusion devrait commencer par l’accessibilité de la culture.

L’accessibilité c’est le droit à tous et toutes d’être dans l’espace, d’interagir avec un contenu culturel, physiquement et sensoriellement. Or ce droit fondamental n’est pas respecté pour les personnes se situant en dehors de la norme valide. S’il existe des structures, des scénographies, des activités très bien pensées en termes d’accessibilité pour diverses formes de handicap, force est de constater qu’elles ne forment pas la majorité des expériences culturelles. Les exemples les plus courants sont liés aux handicaps physiques. D’autres formes de handicap, qualifiées d’invisibles, sont souvent oubliées.

Bien que réglementée par des normes, l’accessibilité arrive souvent sur le tard. En Belgique, le concept d’aménagement raisonnable en dit long : on arrange l’existant, l’accessibilité arrive donc après. Bien sûr, en matière d’accès au patrimoine culturel dans des sites historiques, un aménagement des lieux est nécessaire mais dans la création contemporaine (spectacle vivant, musique, design, mode), il pourrait en être autrement.

Cela traduit un manque de considération pour l’expérience culturelle des personnes handicapées. Lorsque des places réservées ou des plateformes pour les personnes à mobilité réduite sont prévues, ces dernières se retrouvent souvent isolées de leurs proches, séparées des personnes valides. Dans le cas de handicaps dits “invisibles” (par exemple, handicaps sensitifs des personnes neuroatypiques), l’accessibilité peut devenir une charge pour la personne concernée par ce besoin, qui doit demander les informations relatives à la durée de la pièce ou du concert, à la disposition de la salle, au parcours dans le théâtre ou le cinéma.

Plateformes pour les concerts, absence de marche, ascenseurs, couloirs assez larges, muséographie, sécurité, bar, toilettes… Plusieurs organismes publics et privés dans le monde francophone ont édité des guides qui regroupent des conseils pour rendre les expériences culturelles plus accessibles. Ces références sont disponibles en annexe.

Cependant, c’est toute la vie des personnes handicapées qui va déterminer la participation culturelle, pas seulement le lieu où cette dernière a lieu. Les moyens financiers (en lien direct avec l’emploi et les allocations), le temps et l’énergie disponible, les imprévus liés à la santé et à la gestion de soi, les transports sont des facteurs à prendre en considération avant de planifier la participation à un événement culturel. Pour donner un exemple en termes de transports à Bruxelles, 53 des 69 stations de métro sont équipées d’ascenseurs mais les lignes de tramway restent pratiquement inaccessibles de façon autonome aux personnes circulant en fauteuil roulant.

Les lieux, les événements, les organisations culturelles ne sont pas accessibles parce que pensés et occupés majoritairement par des personnes valides. Il est encore trop rare de prendre en compte que dans les artistes, le personnel technique ou les bénévoles, il puisse aussi y avoir des personnes handicapées.

La représentation, une question politique

Changer la donne passe par une éducation populaire sur le sujet du handicap, la formation des créateurs, des diffuseurs, des personnels prenant en charge le public handicapé et par le recrutement de personnes directement concernées. Leur présence au sein des compagnies et organisations permet d’apporter un nouveau regard sur les projets, qui peut questionner et apporter des solutions améliorant l’accès et l’expérience de tous les publics.

La question de l’accessibilité se couple ainsi avec celle de la représentation des personnes handicapées dans la culture. Elles sont très peu présentes sur scène et sur les écrans. Le Centre du Cinéma et de l’Audiovisuel qui mesure la diversité dans les films et séries belges rapporte que les personnages principaux des fictions sont majoritairement valides. Lorsque des personnes handicapées sont représentées à l’écran ou sur les planches, il n’est pas rare que leurs personnages soient joués par des acteurs valides. Il est également courant de voir le personnage ou l’acteur.ice handicapé.e réduit.e à son handicap dans une vision stéréotypée voire fétichiste ou particulièrement dans les rôles féminins conformes aux standards de beauté occidentale et aux rôles sociaux assignés aux femmes. Les corps non valides sont peu présents dans les productions culturelles et lorsqu’ils le sont, une forte charge de l’imaginaire collectif pèse sur eux et sur les carrières artistiques des personnes handicapées.

Le manque d’accès à l’éducation artistique, aux formations professionnelles, aux opportunités de résidences, à la mobilité internationale contribuent à l’exclusion et à l’invisibilisation des artistes handicapés. L’accessibilité et la représentation qui en découle est un choix de société pas seulement une responsabilité individuelle des organisations ou des lieux qui proposent des expériences culturelles. Bien qu’il reste largement cantonné aux politiques sociales et médicales, le sujet du handicap est un véritable sujet de politique culturelle dont devrait s’emparer la FWB. Une politique culturelle qui vise à la participation pleine et entière d’une frange non négligeable de la population comme publics, artistes, professionnels en collaboration avec les institutions et organisations compétentes en matière de culture. Adopter un plan diversité dans les arts de la scène à l’image de ce qui existe déjà dans le cinéma et l’audiovisuel, mettre en oeuvre un groupe de travail transdisciplinaire sur l’accessibilité de la culture et de l’éducation artistique avec la participation d’artistes handicapés et d’artistes valides, engager le dialogue avec des contreparties flamandes, transfrontalières, européennes pour faire émerger les bonnes pratiques, sont quelques pistes du chantier à mener pour se mettre à la hauteur de la Convention des Nations unies entrée en vigueur il y a 14 ans.

Merci à Charlie, de l’asbl le Poisson sans bicyclette ­ qui édite des brochures et donne des ateliers sur l’accessibilité des espaces culturels et militants ­ pour ses conseils de lectures et nos discussions passionnantes.

Bibliographie et ressources

Ressources pratiques – en français

Ressources pratiques – en anglais


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